vendredi 29 mars 2024

Richard Wagner, Parsifal (1882)Le 3 décembre à 15hGrimaldi Forum, Monaco

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Richard Wagner, Parsifal (1882)
en version de concert
Dimanche 3 décembre à 15h
Grimaldi Forum, Monaco

Concert événement
150 ans de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

Création
Après avoir inauguré la première saison du Ring à Bayreuth en 1876, Wagner commence Parsifal, l’année suivante : le prélude est achevé à l’été 1877. Les ébauches de chaque acte se pousuivirent en 1879 et l’orchestration pleinement accomplie en janvier 1882. Au cours de ses nombreux voyages en Italie, le compositeur rencontre le décorateur Paul Von Joukovsky qui élabore les références du premier Parsifal à l’Italie : le temple du Graal s’inspire de la cathédrale de Sienne, et le Castel magique, du Palazzo Rufalo à Ravello. L’opéra est créé le 26 juillet 1882 à Bayreuth, seul espace scénique autorisé par le musicien à représenter sa dernière oeuvre.

Religion de la remémoration et des réminiscences
Nietzche a violemment critiqué l’oeuvre, non pas tant sur le plan musical qu’à l’endroit de son sujet, véritable blasphème théâtral vis-à-vis de ses citations et de son ambition chrétiennes et spirituelles. Que Parsifal ait une portée sacrilège, voilà qui ne dérange pas certains de ses admirateurs, toujours enclins aujourd’hui, à ne pas applaudir entre les actes, tenant l’action wagnérienne telle une liturgie lyrique. Et Bayreuth, le temple d’une nouvelle religion. Or il s’agit bien selon Wagner d’une oeuvre théâtrale, et précisément selon son manifeste esthétique, écrit en 1850, « Opéra et drame », d’une « remémorisation ». Ici, tous les souvenirs activés par la musique, y compris par le principe permanent des leit-motiv, innervent la texture de l’orchestre, et rendent à l’action présente son écoulement irrépressible qui tend vers le miracle du Salut et de la Rédemption. Tout l’opéra s’écoule ainsi jusqu’à sa conclusion : de la malédiction au pardon. De l’ombre à la lumière.
La profonde unité du drame de Parsifal fait entendre et voir comme des réminiscences, les aspects les plus sacrés du rituel chrétien comme la Cène. Il s’agit moins de transférer l’action liturgique sur la scène que de donner forme à des images remémorées et d’activer leur signification profonde, magnifiée par le commentaire incessant de la musique. Wagner qui comme Balzac, tisse des liens entre ses oeuvres a laissé entendre, par l’intermédiaire du journal de son épouse Cosima qui notait leur conversations, en 1878 par exemple, que Titurel était une manifestation de Wotan, que Klingsor partageait ce même désir au dépassement d’Albérich : de la laideur à la beauté. Et Amfortas recueillerait l’intense douleur du Tristan au troisième acte de l’opéra, Tristan und Isolde. Mythe germanique et mythe chrétien se mêlent pour n’en former qu’un seul dans la vaste imagination de Wagner. Le propre du compositeur est d’ouvrir le sujet de ses drames, d’élargir leur signification profonde pour composer une cosmogonie propre. Ainsi, Parsifal comme la Tétralogie semble absorber toutes les narrations, toutes les époques. Chacune, réactive le cycle atemporel de la dramaturgie humaine.

Des âmes en quête de salut
En définitive, l’action de Parsifal est une succession de tableaux statiques qui chacun tend au rituel : présentation du Graal, exposition du roi, exorcisme de Kundry par Klingsor ; où le récit, davantage que l’action proprement dite, tient une importance capitale. Par la narration de faits passés, Gurnemanz occupe une place centrale dans le dénouement du drame. Chacun ne dialogue par véritablement avec l’autre : il s’agit de confrontation entre des âmes solitaires, souvent sourdes à l’autre, étrangères les unes vis-à-vis des autres. En définitive, en proie au poison de la malédiction, l’action est figée, et le moment de la représentation permet d’en susciter la résolution.

La résoluton passe par la figure centrale de Kundry dont Wagner lui-même a relevé la contradiction fascinante. Elle est à la fois, ange démoniaque et annonciatrice du Salut : « créature étrange, femme miraculeuse et démon humain (la messagère du Graal) ». Elle a bafoué le Christ mais aussi souhaite racheté cette faute première. Kundry est une manifestation de la Madeleine : âme pêcheresse et repentante.
Amfortas, lui aussi, est rongé par le remords : il est une plaie béante, foudroyée par l’idée de la faute, habité par le sentiment de la culpabilité. Or sa conscience entâchée le rend inapte à accomplir le Saint Office. Prètre terrassé, comme Kundry : une âme maudite en quête d’un trop incertain salut.
Sauveur du monde, Parsifal ne brille d’aucune lumière. Wagner a choisi d’associer Parsi (chaste) et Fal (fol), deux présupposés arabes, afin de souligner l’importance du personnage central. C’est cependant lorsque Kundry sous son apparence séductrice et démoniaque l’embrasse qu’il a la clairvoyance de ce qui a suscité le déclin d’Amfortas. Le baiser de Kundry est l’acte qui déclare Parsifal, sauveur et rédempteur : lucide, il connaît désormais la source des souffrances d’Amfortas. La source de la malédiction environnante lui est révélé. Tout l’opéra est conduit par le sentiment de compassion progressivement conscient, qu’éprouve le jeune homme pour ce roi malade et accablé.

Principe compassionnel
Nous tenons là un principe moteur dans l’action dramaturgique de la scène lyrique. Le principe compassionnel est l’un des acteurs de l’action, et le plus fulgurant. Il précipite et interrompt le poison de la catastrophe. Pour résoudre le réseau des tensions de « la Clémence de Titus », Mozart imagine pour Vitellia, princesse au sang froid, calculatrice et manipulatrice, ce moment capital où, après la prière de Servillia, elle prend conscience des souffrances qu’elle inflige : son air « Non più di fiori » fait écho à ses remords naissants et le sentiment de culpabilité qui coule désormais dans ses veines. Après Wagner, Strauss imagine avec Hofmannsthal, le livret de « la Femme sans ombre » : l’impératrice dérobe l’ombre d’une mortelle mais découvre le propre de la condition humaine, la tragédie de la souffrance et des peines, le sort du Teinturier l’émeut. L’impératrice aussi en faisant l’expérience de la compassion, achève sa métamorphose. D’idée en quête d’une ombre, elle devient humaine. Compatissante.
Sur la scène de Parsifal, Kundry, Amfortas, tous les personnages retrouvent leur humanité, grâce à la fonction salvatrice du jeune Parsifal, instrument compassionnel, mais qui, en retour, n’aurait pu éprouver de pitié sans avoir cotoyé ceux qui lui permettent d’être à son destin. C’est pourquoi, le drame musical que défend Wagner n’est pas un « opéra » au sens d’une succession d’intrigues et d’événements. Chaque tableau du drame pénètre dans l’âme des acteurs : la musique incessante renforce l’émergence de leur métamorphose. Pour en comprendre le processus, chacun ne cesse de se raconter : sans cesse, dit Claudel : «  l’histoire qui se développe est continuellement une annexion du présent par le passé ». D’où l’importance du récit de Gurnemanz qui prend de ce fait un relief saisissant.
Debussy retiendra la leçon. Dans son opéra, Pelléas et Mélisande, sa Mélisande est aussi un personnage en quête de lui-même. En devenir : inconsciente à elle-même. Elle ne sait d’où elle vient, ignore qui elle est… Mahler puis, Webern, comprendront la portée de l’esthétique wagnérienne, particulièrement élaborée et explicite dans Parsifal. Comme Tristan, Parsifal est une interrogation, y compris dans sa forme. Wagner y laisse souvent irrésolu, le tissu des dissonances. Son oeuvre nous trouble pour mieux nous captiver. Parsifal distille u
n enchantement dont l’enseignement clé désigne l’humain, rien que l’humain.

Distribution
Robert-Dean Smith, Parsifal
Konrad Jarnot, Amfortas
Eike Wilm Schulte, Klingsor
Kristinn Sigmundsson, Gurnemanz
James Creswell, Titurel
Petra Lang, Kundry

Rundfunkchor Berlin
Michaël Gläser, chef de choeur

Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Marek Janowski
, direction

Approfondir
Voir la fiche de production sur le site de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Lire notre critique du disque que l’Orchestre et son chef, Marek Janowski, ont fait paraître en septembre 2006, « le château de Barbe-Bleue » de Belà Bartok

illustrations
Odilon Redon, « Vitrail médiéval » et « Bouddha » (Paris, musée d’Orsay)

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