Richard Wagner
Lohengrin, 1850
Le 7 avril 2007 à 22h30 (Musica)
Le 27 mai 2007 à 9h (Câble, satellite, TNT)
Opéra. Documentaire. Série « Découvrir un opéra » (volume 4). Réalisation: Nele Münchmeyer. 2006, 1h. Production de l’Opéra de Baden-Baden. Metteur en scène Nikolas Lehnhoff. Avec Waltraud Meier, Solveig Kringelborn, Klaus Florian Vogt, Tom Fox… Orchestre Symphonique de Berlin, direction: Kent Nagano.
Fin de l’opéra romantique
Lohengrin marque la fin des illusions romantiques. L’oeuvre incarne les désillusions du compositeur, une épreuve décisive vers la maturité à venir. Pour Wagner, la gestation de son opéra Lohengrin, est aussi déterminante artistiquement que douloureuse sur le plan personnel et social. Amorcé dès 1845, achevé en 1848 mais créé en 1850, l’opéra achève un cycle, celui des opéras romantiques traditionnels, ouvre sur le drame de l’avenir: celui dont le flot musical permanent, envisage de nouvelles perspectives, tant esthétiques que philosophiques et politiques. Car l’homme, alors chef de l’opéra de Dresde, foyer musical important de la Cour de Saxe, qui a travaillé déjà à son Vaisseau Fantôme puis Tannhäuser, (créés à Dresde), réfléchit un à nouvel ordre musical et théâtral. Il s’agit pour lui de s’adresser à l’humanité et clamer des valeurs humanistes de rédemption, d’amour contre le poison du mensonge, du calcul, de la trahison.
La composition de Lohengrin est elle-même emportée par le souffle des révoltes de 1848, étouffées dans une répression sanglante. Acteur parmi les insurgés, radicalement contre l’autorité des bourgeois et des princes, Wagner paiera chèrement son alliance révolutionnaire. Il doit quitter Dresde, poursuivi par l’armée répressive, se réfugier finalement à Weimar (chez son ami Liszt) puis à Zürich, d’où, empêché de voyager, il assiste à la création chaotique de Lohengrin, dirigé à Weimar par Liszt… en 1850. L’audience ne comprend pas l’enjeu esthétique de la partition. Pour le musicien, c’est un nouvel échec, une étape douloureuse, aigre et cynique qui le mène cependant un peu plus près du grand oeuvre lyrique à venir.
Dans la mise en scène de Nicolas Lehnhoff
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pour l’opéra de Baden Baden, reprise ensuite à Milan et à Lyon, Lohengrin est le Sauveur d’une humanité pervertie, corrompue, maudite et dont il faut mériter la dignité et la promesse de salut. Quand le chevalier au cygne paraît, aux hommes de mesurer la noblesse de sa mission; à Elsa, de comprendre sans le percer, la pureté de son mystère, d’accepter ce voeu de confiance et d’amour total que son époux miraculeux lui demande…
Or, Wagner nous donne à voir la noirceur des hommes, toujours prompts à trahir, manipuler, dénoncer, tuer la pureté. Au final, Elsa, -petite âme ou oie crédule?- se montre incapable de réaliser son rêve romantique, et Lohengrin qui aurait pu être aussi pour le Roi Henri, le champion de ses armées contre les Hongrois, doit quitter cette terre qui ne le mérite pas.
Ortrud, animal de la magie noire est la grande victorieuse. Après Tannhäuser, où déjà le compositeur mettait en scène un impossible amour, Lohengrin scelle définitivement la malédiction de toute alliance entre les hommes. Il peint avec un lyrisme désenchanté, l’impasse de tout amour. Une vision pessimiste et glaçante qui se réalisera davantage sur le plan amoureux avec Tristan.
Le documentaire est fidèle à son principe pédagogique. Commentaires en voix off, présentation et caractérisation (musicale) des protagonistes: le couple pur (jusqu’à l’acte II): Elsa/Lohengrin, le duo infernal : Ortrud/Telramund. Témoignages pertinents du metteur en scène, du chef (Kent Nagano). Dommage cependant qu’il n’y ait pas plus de commentaires de la part des interprètes dont la qualité transperce l’écran. Waltraud Meier campe une Ortrud anthologique que l’Elsa de Solveig Kringelborn n’affadit en rien. Les options de Nicolas Lehnhoff sont parfaitement explicitées: il souligne l’identification Wagner/Lohengrin, osant même représenter au III, un Lohengrin pianiste, encore tout ennivré par ses récentes noces avec Elsa, avant que la catastrophe et le poison du doute ne fassent leur oeuvre dévastatrice dans l’esprit de la jeune mariée… Secret du Chevalier, tractations politiques (ambition du Roi Henri, querelle dynastique entre Ortrud et Elsa), lecture sentimentale (psychodrame tragique entre Elsa et Lohengrin): les fils de l’intrigue et les différents niveaux de lecture sont démêlés. Complexité lumineuse, donc captivante. Voici l’opéra comme on l’aime. Après Platée, Cardillac, Poro, ce quatrième volet de la série: « Découvrir un opéra » est une réussite. Chapeau au cycle d’Arte!
Illustrations
Edward Burne-Jones, amour parmi les ruines (DR)
Edward Burnes-Jones, Pygmalion (DR)
John William Waterhouse, la tempête (DR)