Richard Wagner
Le Crépuscule des Dieux
Philippe Jordan, direction
Günter Krämer, mise en scène
Paris, Opéra Bastille. Du 3 au 30 juin 2011
Du 3 au 30 juin 2011 (et pour 7 représentations très attendues), Philippe Jordan dirige le Crépuscule des dieux, concluant ainsi la Tétralogie de Wagner qui n’avait pas été représentée sur la scène de l’Opéra National de Paris depuis 50 ans.
Le mythe de Siegfried (héros sacrifié dans le théâtre wagnérien) a inspiré dès son origine, le projet de Wagner… qui au début concevait deux grands volets pour son cycle théâtral: la jeunesse puis la mort de Siegfried. C’est d’ailleurs le livret du Crépuscule (à l’origine intitulé La Mort de Siegfried) qui est le plus ancien: Wagner y associe duos, trios choeurs dans l’esprit des opéras romantiques dont il a lui-même fixé la forme: Tannhäuser et Lohengrin.
Ensuite sont apparus les personnages complémentaires, les histoires parallèles et les noeuds si passionnants qui tissent la riche intrigue finale.
Dernier volet de la Tétralogie à Bastille
Pour Wagner, Siegfried incarne un être prometteur, à l’enfance exceptionnelle, capable de vaincre le dragon, conquérir l’or… mais de rater sa vie à cause de sa naïveté. Manipulé, le héros trahit celle qui l’aime au delà de tout (Brünnhilde), lui préfère Gutrune; il meurt pourtant conscient de son échec, ce qui ajoute au tragique bouleversant de sa mort (assassiné dans le dos par les deux ignobles Gibichungen, Gunther et surtout Hagen).
La mort de Siegfried est d’ailleurs l’un des passages clé de la partition du Crépuscule: l’épisode marque la fin de toute espérance et le triomphe cynique de l’esprit de la tractation, du négoce honteux, du complot barbare. Seule, l’amoureuse devenue veuve, Brünnhilde laisse envisager une issue salvatrice dans ce monde désenchanté: elle s’offre en sacrifice; mais de sa conscience et de son expérience, jaillissent désormais une autre vision de l’humanité: une promesse… la vision inespérée d’un monde nouveau à bâtir. La Tétralogie s’achève sur cette exhortation visionnaire, sur la prière d’une femme éclairée: aux hommes avertis, c’est à dire aux spectateurs de changer la société en créant un monde nouveau où jalousie, cupidité, ambition et manipulation seraient absents!
Au départ, il s’agissait de représenter l’apothéose du héros (au Walhalla). Puis Wagner renforce le caractère pessimiste et tragique de l’opéra, devenu drame musical: sous l’influence de Shopenhauer, le compositeur développe ce regard réaliste et cynique, amer, sans illusion sur l’humanité… En imaginant au départ la scène des Nornes, annonciatrices de la catastrophe finale, Wagner inscrit le destin fatal du héros dans une fresque désormais universelle et cosmique: musicalement, la richesse harmonique et le souffle qui s’en dégage, montrent l’expérience acquise par Wagner depuis l’écriture de Tristan und Isolde; une maturité nouvelle qui mènera jusqu’à l’enchantement de Parsifal. Dans le Crépuscule se répand une haleine riche et opulente colorée au diapason d’une malédiction vénéneuse qui corrompt tous les hommes et tue toute espérance. Aucun héros loyal ne survit; tout expire et tout meurt sans qu’une aube nouvelle ne soit annoncée. Il fallait bien Parsifal pour se remettre d’un tel choc à la fois sombre, lugubre et sans alternative.
Avec le recul et la perspective des volets antérieurs, La Tétralogie dirigée par Philippe Jordan à Bastille, convainc par sa clarté, son approche généreuse mais chambriste, le bénéfice d’une sonorité wagnérienne qui diffère des orchestres germaniques par sa transparence et sa brillance: une luminosité interne qui a permis de faire entendre la très riche orchestration de l’orchestre wagnérien dépouillé enfin de sa lourdeur et de sa monumentalité. Dans la tempête crue et violente du Crépuscule, cette quête de splendeur et d’équilibre sonore devrait se renouveler avec délices.
Wagner: Le Crépuscule des Dieux. Opéra Bastille, du 3 au 30 juin 2011. Günter Krämer, mise en scène. Philippe Jordan, direction. Avec Torsten Kerl, ténor (Siegfried). Katarina Dalayman, soprano (Brünnhilde)… Diffusion en direct sur France Musique, le 18 juin 2011 à 18h.