lundi 28 avril 2025

Richard Strauss, les opéras »Arabella », « Salome », « La Femme sans ombre »:l’actualité lyrique de la rentrée 2006

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L’opéra selon Richard Strauss. Bilan sur une œuvre lyrique exceptionnelle : les opéras de Richard Strauss. Même s’il use du pastiche et de références néo-classiques avec une finesse désarmante, revisitant ses classiques, en particulier français des XVII ème (Ariadne auf Naxos d’après Molière) et XVIII ème siècles (Capriccio, Le Chevalier à la Rose d’après la société d’Ancien Régime dans le style versaillais), Strauss appartient bel et bien au XX ème siècle. Témoin des deux conflits mondiaux, il affronte dans son oeuvre théâtral, le cynisme de l’existence. Son sens de la dramaturgie est intimement lié à l’époque tourmentée à laquelle il a vécu. La plupart de ses sujets sont des réponses déguisées à l’horreur de la guerre.

La rentrée lyrique de septembre 2006 met à l’honneur le théâtre straussien. A Liège, l’Opéra Royal de Wallonie présente à partir du 22 septembre, « Arabella », partition inaugurale pour sa saison nouvelle 2006/2007, avec Mireille Delunsch dans le rôle-titre.

Voici le premier volet de notre feuilleton consacré aux opéras de Richard Strauss, en liaison avec l’actualité des scènes lyriques en Europe. L’Opéra de Paris, l’Opéra de Monaco, le Capitole à Toulouse affichent « Salomé », « La femme sans ombre » et « le Chevalier à la rose » (en décembre à Paris, puis en mars 2007 à Monaco). Retour sur une œuvre lyrique majeure de la première moitié du XX ème siècle.

1. Arabella (1933)
Production de l’Opéra Royal de Wallonie, à Liège.
A partir du 22 septembre.

Les auteurs, Richard Strauss et son cher librettiste, Hugo Von Hofmannsthal, s’attaquent dans cette comédie lyrique en 3 actes, créée à Dresde en 1933, aux poncifs romanesques de l’amour. L’amour peut-il être plus fort que l’attrait du profit? Il s’agit du dernier texte écrit par l’immense écrivain de langue allemande. A Vienne, le comte Waldner entend redresser sa situation financière en mariant sa fille Arabella à un riche parti. Les soupirants ne manquent pas mais aucun ne trouve grâce aux yeux de la courtisée : finalement, rompant avec la fatalité des unions forcées, Arabella épousera le riche gentilhomme campagnard Mandryka, qui incarne l’époux idéal. Le prodige de l’amour est ainsi préservé et triomphant, il scelle la collaboration entre Strauss et Hofmannsthal, l’une des plus admirables dans l’histoire de l’opéra. Leur entente s’est confirmée précédemment en offrent de précédents chefs-d’œuvre : Elektra (1909), Le chevalier à la rose (1911), Ariadne auf Naxos (1912), La femme sans ombre (1919), Hélène d’Egypte (1928), Il est vrai qu’en certains endroits de la partition, Arabella se souvient de leur précédent succès, Le chevalier à la rose, superbe évocation sensuelle et nostalgique de la Vienne baroque, donnée 23 années auparavant. Mais, ici les deux auteurs inscrivent l’intrigue d’Arabella dans la Vienne moderne et fin de siècle, celle de 1866.

Strauss excelle à habiller la peinture des coeurs ciselée par Hofmannsthal, d’une somptueuse étoffe filée dans l’atelier de Mozart et de Wagner. Mais avec la jubilation supérieure qu’offre l’adéquation de la langue, véritable poésie en action, en symbiose avec le flot musical. Hofmannsthal achève le texte d’Arabella quand est crée Hélène d’Egypte, autre opéra conçu avec Strauss, et représentée en 1929.

Ce qui intéresse Strauss autant que Hofmannsthal, c’est le portrait d’un milieu décadent comme revivifié par l’intrusion d’un sang neuf , c’est le miracle d’un impossible avenir désormais attesté dans un monde promis à la mort : « c’est la Vienne frivole, avide de plaisirs et criblée de dettes qui forme la toile de fond pour Mandrika, lui qui est auréolé de la pureté de ses villages, de ses forêts de chênes que la hache n’a encore jamais touché, de ses vieilles mélodies populaires. C’est ici l’espace de la grande Autriche à moitié slave qui pénètre la comédie viennoise pour y faire souffler un vent tout autre », ainsi que l’écrit Hofmannsthal.

Cet hommage rendu à la Nature, seul berceau où la civilisation puisse renaître, où des cœurs purs pourront trouver l’asile, doit être compris comme le testament artistique d’un poète, qui donna au théâtre lyrique l’un de ses plus beaux textes, dans un ouvrage dont il ne devait jamais voir la réalisation. Hofmannsthal devait en effet mourir en juillet 1929, soit 4 ans avant que ne soit créée la partition.

Opéra Royal de Wallonie
Du 22 au 30 septembre 2006
Lire la fiche de la production sur le site de l’Opéra Royal de Wallonie

Nouvelle coproduction
Théâtre du Capitole de Toulouse / Opéra Royal de Wallonie
Orchestre et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie

Direction musicale, Patrick Davin
Mise en scène, Pierre Médecin
Décors, costumes et lumières, Pet Halmen
Chef des Chœurs, Edouard Rasquin

Arabella, Mireille Delunsch
Zdenka, Anne-Catherine Gillet
Adelaide, Hanna Schaer
Die Fiakermilli, Mélanie Boivert
Eine Kartenaufschlägerin, Christine Solhosse
Mandryka, Werner van Mechelen
Matteo, Gilles Ragon
Graf Waldner, Tómas Tomasson
Graf Elemer, Steffen Schantz
Graf Dominik, Patrick Delcour
Graf Lamoral, Léonard Graus
Ein Zimmerkellner, Marcel Arpots
Welko, Alexei Gorbachev
Djura/Jankel, Nicolas Mottart
Drei Spieler : Pierre Gathier, Edwin Radermacher, Marc Tissons

Cd
Solti, 1957. A la tête du Philharmonique de Vienne, Solti cisèle les arêtes de cette comédie sentimentale : battue d’une incroyable précision, fluidité des phrasés, superbe des couleurs. Aucun doute, l’orchestre est un acteur à part entière. Les deux sœurs (Hilde Gueden en Zdenka, et Lisa della Casa dans le rôle-titre), le Mandryka de George London recomposent la fable amoureuse et le miracle de la rencontre. 2 cd Decca.

2. Salomé (1905)
Production
à l’affiche de l’Opéra national de Paris, Bastille
Direction musicale : Hartmuth Haenchen
Mise-en-scène : Lev Dodin
Du 18 septembre au 18 octobre 2006

3. La femme sans ombre (1919)
Théâtre du Capitole, Toulouse
Du 6 au 18 octobre 2006

Après avoir créé plusieurs opéras pastiches néobaroque (Ariadne auf Naxos) ou néo classique (Le Chevalier à La rose), Strauss et le poète Hofmannsthal marqués par la Première Guerre mondiale qui entraîne aussi la chute de l’Empire Habsbourg, plongent dans le mythe mozartien de la Flûte Enchantée. Ils produisent un opéra sur la compassion confraternelle : la femme sans ombre est une intrigue orientalisante qui mêle les registres de l’onirisme, du fantastique et du tragique pour mieux éclairer la portée d’un message hautement humaniste. Le sort de tous les hommes est indéfectiblement lié. Il s’agit moins comme on l’a dit souvent, de l’apothéose des valeurs conjugales qu’une apologie de la fraternité et de la compassion salvatrice. Composé aux heures les plus sombres de la Première Guerre Mondiale, la Femme
sans ombre exprime comme nul opéra avant lui, l’œuvre de la barbarie tout en imaginant pour l’humanité endeuillée, une issue positive. Le miracle humain reste possible tant qu’un seul être saura s’émouvoir du sort d’un autre.

L’impératrice n’a pas d’ombre. Objet fantasmatique de l’Empereur, elle aspire à prendre forme humaine et pour se faire, accepte de souffrir, d’éprouver la tragédie d’une existence comptée. Elle découvre la femme du Teinturier Barak, harpie domestique qui brave son fidèle époux. D’une situation malsaine où la femme accepte de vendre son âme pour que l’Impératrice puisse obtenir cette ombre tant convoitée, l’action s’inverse quand l’Impératrice éprouve le miracle de la compassion vis-à-vis de Barak.
L’opéra de Strauss et de Hofmannsthal interroge la notion d’identité, de compassion, d’humanité. Que sont les êtres dépourvus de sensibilité humaine ? Au sortir de la première guerre mondiale, l’ouvrage est l’une des partitions les plus bouleversantes du théâtre lyrique. Le chant de l’espoir et l’expression de la tragédie la plus brute s’y mèlent.

Opéra en trois actes
Créé le 10 octobre 1919 à l’Opéra de Vienne
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Opéra du Capitole de Toulouse
Direction musicale : Pinchas Steinberg
Mise-en-scène : Nicolas Joel
Nouvelle production
Consultez la fiche de la production toulousaine sur le site du théâtre du Capitole

Cd
Bohm, 1977.
Sur la scène du théâtre où a été créé l’opéra, Böhm qui a cotoyé Strauss, officie dans cette captation enregistrée en direct, avec un sens lyrique et tragique d’une tendresse humaine absolument indiscutable. Enregistré sur le vif, cette lecture de légende s’impose naturellement, en particulier parce que portés par l’orchestre de l’Opéra de Vienne, somptueux et énigmatique, les chanteurs s’embrasent littéralement. James King (l’empereur), Leonie Rysanek (l’Impératrice), Walter Berry (Barak), Birgit Nilsson (la femme du teinturier). 3 cds Deutsche Grammophon 1985. Livret complet : texte intégral avec notice argumentée.

Solti, 1989/91.
Deux décennies et quelques mois après Böhm, la machine infernale électrisée par Solti, à la tête d’un orchestre que n’aurait pas renié Strauss lui-même, le philharmonique de Vienne, assène ses accents percussifs, ses déflagrations fantastiques. La baguette du chef d’origine hongroise est affûtée, d’un implacable sens tragique. Si les voix ne sont pas celle que réunissait en 1985, un Böhm mythique, le plateau vocal convoqué par Solti est plus qu’honnête en rendant l’étoffe humaine et tendre d’un sujet complexe : Placido Domingo (l’empereur), Julia Varady (l’impératrice), José Van Dam (Barak), Hildegard Berhens (son épouse). 3 cd Decca. Livret complet : texte intégral et notice documentée.

Approfondir
Lire aussi la biographie du compositeur
Lire aussi notre dossier « Elektra »

Crédits photographiques
Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss
Richard Strauss au travail (à l’époque de la femme silencieuse, 1935)

(DR)

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