Beethoven
Intégrale des Symphonies
Gewandhaus
orchester
Riccardo Chailly
(coffret 5 cd Decca)
En concert
Paris, Salle Pleyel
Du 22 au 31 octobre 2011
Une sonorité active, fièvreuse, parfois très mordante, avec des attaques parfois âpres; des accents secs mais pas courts qui profitent aux cuivres et aux flûtes (avec en outre une somptueuse harmonie) mais aussi à la motricité générale des cordes … Aucun doute, la lecture beethovénienne que nous propose Riccardo Chailly dans cette nouvelle intégrale ne laisse pas indifférent. C’est même une excellente surprise.
Le Leipzig est évidemment très légitime chez Beethoven: l’orchestre joue le cycle entier dès 1825 sous la direction de Schulz du vivant de Beethoven; Nikisch institue pour le Gewandhaus la réalisation de la 9ème… chaque Saint-Sylvestre… C’est dire si Chailly et ses musiciens prolongent une riche culture, des affinités historiques qui expliquent certainement la qualité expressive, une évidente nervosité virtuose, électrisée par des choix rythmiques qui s’avèrent payant (presto de la 7ème: percu claquante, transe dansante); la cohésion de la sonorité captive; le relief particulier des cuivres et des flûtes perce le spectre; et les cordes ne manquent jamais de tension comme de mordant.
Pour autant on serait en droit parfois d’attendre une lecture plus nuancée sur les plan des dynamiques: occupé par le souffle, la vaillance architecturée, un dramatisme souvent irrésistible qui fouille davantage le poli des alliances de timbres, le chef se laisserait-il comme submergé par les détails et milles diaprures rendus perceptibles par une phalange étonnamment inspirée?… c’est un premier constat auquel nous serions tenté de souscrire à l’écoute des 5 premières Symphonies.
Et pourtant, quel panache, quel hédonisme symphonique se dégagent de manière générale… et il faut attendre … La 6ème Pastorale …. Surtout la 8ème pour se délecter réellement des accents d’une subtilité dynamique; pour nous rassurer combien le maestro est plus qu’un formidable sculpteur du son: il est aussi grand architecte. Saluons ainsi la vision indiscutable de sa direction avec des tempi très finement caractérisés (Dès le début de l’allegro de la 8ème : quelle impétuosité oxygénée des cordes ! ….) . D’ailleurs, cette 8ème est une excellente démonstration des qualités de l’interprétation parvenue à l’équilibre: toutes les options dévoilent le caractère hautement expérimental de l’opus; il y a une juste dose d’humour … sarcastique dans le 2e mouvement (scherzando): Chailly nous réserve une rythmique pointée délurée pleine d’ironie et cette tension vive (cordes) qui veulent évidemment tourner une page… la 8ème exprime un tournant, une page à l’ascension irréversible. Elle est l’antichambre de révolutionnaire 9ème! Ecoutez ce Rondo final qui implose en plein essor mené avec un engagement passionnant …
Parlons justement de la 9ème : c’est le point d’ aboutissement du cycle mais le principe d’un approfondissement et d’une radicalisation prennent tout leur sens :
quelle décharge nihiliste du I ; respiration et motricité nostalgique parsemée d’ éclairs fracassants : c’est la suite de l’orage de la 6ème Symphonie…. L’activité et le foisonnement des couleurs, la finesse dynamique que cultive Chailly se montrent là encore superlatif (les coups de timbales). Beethoven fait résoner et retentir le fracas d’un nouveau, comme Haydn le réalisait au début de la Création… pour chanter le miracle terrestre conçu par Dieu; ici, Beethoven fait rupture; il prône la destruction du monde des Lumières pour que soit bâti enfin, un nouvel ordre fraternel…
Le mouvement lent chante, caresse, exprime un regret pudique très subtilement déroulé où les couleurs du Gewandhaus étincellent : c’est la prière avant la jubilation fraternelle qui suit … presque 13 mn d’épanouissement sonore d’un humanisme lumineux et tendre, à tirer les larmes … Le dernier mouvement est de la même eau, bénéficiant des choristes et de solistes plus que convaincants, sincères dans leur injonction fraternelle. Bel accomplissement.