A la ville, à la scène, le couple Alain Altinoglu et Nora Gubisch offre une très honnête traversée en terres ravéliennes. Déjà repérées dans le cycle de mélodies contemporaines écrites pourtant pour elle par Thierry Escaich, les limites de la mezzo s’agissant de l’intelligibilité apparaissent ici: plus soucieuse de couleurs et d’onctuosité vocale, Nora Gubisch demeure perfectible dans son articulation, qui pêche surtout dans les premières mélodies entre volatiles et insectes (Le Paon, Le Grillon, Le Cygne, Le Martin-Pêcheur, La Pintade), les Histoires Naturelles dont les plus grands chanteurs français ont su révéler la splendeur poétique et vocale; outre un chant qui tend à lisser les consomnes sans accrocher les voyelles, la soliste peine aussi à rester simple et naturelle, arborant un ton outrageusement déclamatoire, en poseuse démonstrative en particulier dès Le Paon dont les « Léon » sont tirés, excessivement tendus et même laids (intention stylistique) quand d’autres avant elle, plus justes, savaient en exprimer la langueur détachée, celle d’un vain orgueil.
Une atténuation tendre fait toute la saveur des 5 mélodies populaires grecques, mais là encore ce que l’on perd en lisibilité linguistique, l’éclairage gagne en somptueux effets moirés quitte à perdre le texte et la magie du verbe dans une brume sonore… des plus envoûtantes. Le paradoxe de cet album tient à cette contradiction entre clarté du verbe et surcroît de matière sonore qui aime dévorer le relief du premier. Comme distanciée voire hautaine, la cantatrice malgré le raffinement détaillé du piano, n’arrive pas à restituer l’intimité simple du Noël; Tripatos sonne étrangement empâté; même manque de sobriété allusive pour Les Grands Vents venus d’outre-mer d’après Henri de Régnier. Mais l’abandon secret de Ronsard à son âme convainc, et prépare à l’admirable maîtrise des Deux mélodies hébraïques: prière intérieure de Kaddisch, et balancement hypnotique de L’Enigme éternelle... Très bon récital qui va en se bonifiant, défendu avec conviction par deux complices ravéliens.
Maurice Ravel: Mélodies (Gubisch, 2011). 1 cd Naïve V5304. 1h02mn. Nora Gubisch, mezzo-soprano. Alain Altinoglu, piano. Note: @@
