Parenté troublante, chronologique d’abord entre Pour le piano du Français (créé par Ricardo Viñes) et la Sonate en ut mineur du jeune Szymanowski, deux oeuvres autour de 1903-1904 et d’une ardente fièvre. Même époque d’ailleurs pour L’Isle Joyeuse datée de… 1904: le jeune interprète montre à quel point la notion de couleur et de timbre prévaut chez Debussy; un maître impressionniste, des variations et teintes mêlées, changeantes, vibrantes même, d’une palpitation sanguine et nerveuse dont le jeu transmet ce caractère sauvage et primitif à la fois avec une fluidité nerveuse donc « impressionniste » et surtout, impressionnante. Jouer Debussy permet au pianiste de rendre hommage aussi aux modèles qui nourrissent son propre jeu: évidemment Arturo Benedetti-Michelangeli (qui joua à Hambourg Debussy justement en un récital mémorable à l’automne 1984), mais aussi Gieseking et Alfred Cortot…
Mondes intérieurs, mondes enchantés
Du Szymanowski expressionniste, Rafal Blechacz s’engage à dévoiler une même activité flamboyante, dans la Sonate de jeunesse déjà citée et le Prélude et Fugue en ut dièse mineur, si proche de Chopin (début du 2ème mouvement de la Sonate), Beethoven et Scriabine. Et le mouvement qui suit dans la dite Sonate, Tempo di Minuetto, rappelle cette tendre fascination pour les références historicisantes: Szymanowski s’y abandonne à une pause langoureuse et enivrée, où diffuse aussi le parfum d’une mystérieuse nostalgie, énoncée avec un tact digital emperlé comme une églogue ancienne voire antique, comme les a aimé aussi son aîné Debussy. D’ailleurs, ce souci de la miniature s’entend surtout chez Claude, dans Estampes: où se précise la présence d’une évocation exotique, orientale puis ibérique où tout l’art de suggérer, s’étoffe et captive sous les doigts du pianiste.
Son implication est totale: d’une souple et parfois violente intensité. Une course à l’abîme où l’âme est en jeu. Notons la belle sensibilité plus secrète encore dans le Präludium puis l’architecture si ciselée de la Fuga a 4 voci, relecture si raffinée des contrepoints de Bach. Szymanowski y développe une sorte de divagation inquiète mais frappante par sa concision et sa clarté intérieure: tout l’apport de Rafal Blechacz est là: doué d’éloquence, il sait aussi nous raconter mille feux ardents dans un jeu jamais anodin ni futile. Du très grand pianisme.
Debussy, Szymanowski. Claude Debussy (1862-1918): Pour le piano (Prélude – Sarabande – Toccata), Estampes (Pagodes – La Soirée dans Grenade – Jardins sous la pluie) ; L’Isle joyeuse. Karol Szymanowski (1882-1937): Prélude et Fugue en do dièse mineur, Sonate en ut mineur, op. 8. Rafal Blechacz, piano. 1 cd Deutsche Grammophon, enregistrement réalisé à Hambourg en janvier 2011. Sortie annoncée le 20 février 2012.
J.S. Bach Partita en la mineur No. 3
Ludwig van Beethoven Sonate en ré majeur Op 10
Chopin Ballade n°1 en sol mineur Op. 23
Chopin Polonaises Op. 26 en do dièse mineur et en mi bémol mineur
Karol Szymanowski Sonate en do mineur Op 8 No. 1
Claude Debussy: Suite bergamasque
Frédéric Chopin: Sonate op.58 n°3