32è festival Quimpérois
L’exigence artistique portée depuis ses débuts par Michel Legrand se manifeste certes par la qualité des interprètes conviés (en 2010, paraissent Brigitte Engerer, Gérard Caussé, Pascal Amoyel, les Lunaisiens dans l’opéra de Grétry Zémir et Azor…). C’est aussi l’alchimie souvent miraculeuse entre un programme choisi et un lieu; de ce point de vue, Quimper et ses environs ne manquent pas d’écrins enchanteurs, nichés dans la nature (chapelle Notre-Dame de Kerdévot) ou marquant l’espace urbain de la préfecture du Finistère (église de Locmaria). C’est aussi depuis de nombreuses éditions, l’orangerie du château de Lanniron, ancien palais des évêques de Cornouailles dont l’architecture, dans un domaine enchanteurs aux espèces méditerranéennes, revisite le modèle des palais palladiens, au bord du fleuve Odet.
Liturgie selon Leskov
Mais le temps fort de l’édition 2010, outre la thématique animale, demeure la création de la cantate L’Ange scellé du compositeur moscovite Rodion Konstantinovitch Chtchedrine, créé en première française dans la cathédrale Saint-Corentin de Quimper ce 7 août 2010.
Le programme se livre à l’exercice de la rencontre, celle de deux choeurs de jeunes chanteurs (choeur de chambre de la Société Philharmonique de Saint-Pétersbourg et du King’s College de Londres), dont les solistes paraissent seuls, exprimant chacun, respectivement, les auteurs qui composent leur répertoire traditionnel (Byrd puis Britten pour les King’s College), Rachmaninov entre autres (extraits des Vêpres) pour les Pétersbourgeois. D’emblée, les esthétiques se distinguent: contrastée et engagée voire fiévreuse pour les Russes; plus lumineuse et homogène pour les Londoniens. Conduits par leur chef respectif, Yulia Khutoretskaya puis David Trendell, les jeunes choristes s’inscrivent chacun dans la lignée des chorales d’exception, même si l’on relève la disparité des expériences: le King’s College remonte dans sa forme structurelle actuelle à … 1945; le Choeur de Chambre russe n’a été fondé qu’en 1992…
Or le rayonnement musical des voix, en groupe ou solistes s’avère exemplaire. Il est même superlatif dans la Cantate de Chtchedrine (né en 1932), où la combinaison des deux ensembles se réalise en une entité chorale qui sait tirer parti des fortes individualités tout en affirmant un son d’ensemble particulièrement homogène. Inspiré par les textes de Nikolaï Leskov (1831-1895), Chtchedrine, ancien président de l’Union des compositeurs russes de 1973 à 1990, met en musique un cycle particulièrement puissant par ses accents spirituels et mystiques. Le compositeur y retrouvent deux aspects qui l’ont toujours fortement conquis: la ferveur populaire et le sentiment du sacré. Chtchedrine dont on redécouvre peu à peu les oeuvres, grâce entre autres au travail récent de Valery Gergiev (enregistrement de son opéra Le Voyageur enchanté, commande de Lorin Maazel en 2002, édité chez Mariinsky records), fut lui-même choriste de l’Ecole Chorale fondée par Staline, d’abord comme alto puis comme basse.
Chtchedrine respecte la trame dramatique hérité du poète romantique: il y est question de paysans croyants détenteurs d’une icône miraculeuse signée par le peintre Sevatyan… Voix du peuple russe auquel l’auteur restitue la noblesse admirable, d’autant plus impressionnant par ses accents inspirés et sincères, forme dépouillée et franche, « L’Ange Scellé », sorte de « liturgie selon Leskov », lui-même apôtre d’un christianisme moderne et progressif, est indiscutablement une oeuvre majeure de la musique russe sacrée du XXè siècle. Chtchedrine nous offre une musique constellée de joyaux d’essence spirituel: c’est un cycle où s’affirme le sentiment de la Révélation et de l’Illumination qui foudroie ceux qui savent en recueillir l’aliment précieux; qui en comprennent le sens profond et mystérieux.
Sous la direction du chef David Trendell, les deux choeurs invités gravissent les pans foudroyés d’une partition à la fois intimiste et monumentale. Sous la nef de la Cathédrale Saint-Corentin de Quimper, mise en lumière et scénographiée pour l’événement par Jean-Paul Gloaguen, L’Ange Scellé montre son visage multiple aux spectateurs venus écouter ses splendeurs vocales.
Direct, expressif, sachant subtilement doser les contrastes de climats et d’intonations, entre recueillement et flamboiements vertigineux voire exclamatifs, le compositeur signe là une oeuvre à l’esprit foudroyant, dans une forme toujours accessible qui outre le chant choral, exige l’intervention d’une flûte au chant aérien et visionnaire. L’unique instrument convié (synthèse de la voix par son timbre et le souffle perceptible) « ouvre » et « ferme » la partition, laissant l’auditeur nimbé, comme saisi par un sentiment de lévitation.
Création majeure.
Quimper. Cathédrale Saint-Corentin, le 7 août 2010. 32è Semaines Musicales de Quimper. Rodion Konstantinovitch Chtchédrine (Moscou, 1932): L’Ange Scellé, cantate (création française). Choeur de chambre de la Société Philharmonique de Saint-Petersbourg, Choeur du King’s College de Londres. David Trendell, direction. Mise en lumières: Jean-Paul Gloaguen.