Claire-Marie Le Guay, piano
Mardi 13, mercredi 14 mai 2008
Lyon, Salle Molière
Du romantisme « dur » avec le Quintette de Schumann (si faussement « trop classique »), du post-romantisme optimiste avec celui de Dvorak, du modernisme fondateur avec le 3e Quatuor de Bartok : beau programme lourd de signification pour la fin de saison SMC lyonnaise, qui a invité Claire-Marie Le Guay et le jeune Quatuor Ebène.
Ca sent vraiment son Leipzig ?
Pour le dernier programme de la saison, la S.M.C. lyonnaise offre trois œuvres maîtresses de la musique de chambre, trois œuvres phares qui jouent entre classicisme et romantisme selon des modalités complexes…Et d’abord, jolie ouverture d’un Mozart de seize ans, avec un Divertimento entre la définition de ce terme, la petite symphonie et le quatuor proprement dit. Et pour ce K.138, entre l’ensoleillement italien et les modèles de « Monsieur Frère » , Michaël Haydn, qui ne doit pas être éclipsé par « Papa » Josef, à qui Mozart adulte dédicacera la série de ses Six (vrais) Quatuors de 1784-85. Puis « Vous avez dit classique, trop classique » ? C’est en tout cas ce que Liszt reprochera en pleine verve polémiste et injuste à un Schumann qui composait en 1848 un Quintette piano et cordes tout d’énergie, s’efforçant par dialectique de surmonter la douleur : mais le bouillant Franz, co-inventeur des musiques d’avenir, écouta sans bienveillance et jugea que « cela sentait un peu trop son Leipzig », alors ville-citadelle de l’académisme. Sans doute ne visait-il d’ailleurs qu’un finale où interviennent développements canoniques et fugués : l’influence de J.S.Bach est-elle « coupable » d’archaïsme, et Mozart puis Beethoven ne s’en sont-ils pas imprégnés, et même Schubert à la fin de sa vie n’a-t-il pas entrepris de se perfectionner dans le style contrapuntique ? Au fait, nous pouvons ici ajouter une dimension de psychologie en profondeur le cycle – les psychanalystes qui ont « travaillé » sur le cas-Robert nous le disent volontiers – et constater que Schumann-le-tourmenté se « rassure », contre ses démons et son monde fracturé, en célébrant la forme stricte, et une organisation de la pensée dont la fugue est le couronnement… Si les quatre mouvements de cette œuvre admirablement conduite adoptent une dialectique ferme, ils n‘en sont d’ailleurs pas moins envahis de rêves de fuite – ce scherzo avec ses gammes éperdues, où va-t-il donc ? – et d’angoisse pure, dans la Marche à l’évidence funèbre , mouvement tragique qui devient face à face avec la mort…
Furiant, dumka et puis modernité radicale
Post-romantisme que celui de Dvorak, mais la plupart du temps sans le pessimisme et l’esprit de gravité ou l’extension dans un temps philosophique…Son Quintette op.81, de 1887, est tout ensoleillé par la sensualité tchèque et le climat populaire auquel le compositeur emprunte ses danses et son lyrisme, fût-il teinté de mélancolie, comme dans le 2nd thème qui baigne l’allegro initial, à plus forte raison dans la dumka de l’andante. Le scherzo et le finale sont parcourus de furiant puis de dumka transformée en tourbillon un moment ordonnancé par l’humour d’un développement fugué…Sera-ce bien la même Europe Centrale, 40 ans plus tard, pour le 3e Quatuor de Bartok ? Non, c’est autre monde, et autre visée de transformation du langage : on sait que l’ensemble des 6 bartokiens constitue dans l’histoire du quatuor un jalon aussi décisif que le furent ceux – en si multiples séries – de Haydn, puis ceux de Beethoven, et plus tard en parallèle avec les œuvres, plus dispersées, de l’Ecole de Vienne. Le 3e est d’ailleurs le plus « webernien » des 6, par sa durée restreinte ; son matériau de motifs extrêmement brefs et fugaces, à l’enchevêtrement polyphonique et rythmique, est extraordinairement savant, tout en donnant la sensation du vertigineux dans la modernité la plus radicale. Tout cela sera souligné et mis en perspective, selon une excellente formule qu’inaugure la SMC, grâce à la conférence préparatoire aux concerts que donnera le musicologue et analyste Daniel Gaudet.
Les jeunes générations
La mise en relief de ces données historiques et sensibles, cet échelonnement dans le temps, l’espace et l’imagination, on peut compter sur les interprètes choisis pour les « faire passer » . Claire-Marie Le Guay, appartient à cette « jeune génération » de pianistes français ayant imposé une synthèse sonore, des couleurs et des lignes, un amour du jeu collectif, un goût des partitions récentes qui ont périmé les stéréotypes sur les « vieilles écoles du piano français » et leur volontarisme un rien mécaniste…Multi-lauréate ( Munich, Barcelone, Marseille, Come), guidée par Dmitri Bashkirov, Alicia de Larrocha, Andreas Staier, multi-soliste avec orchestres prestigieux, elle semble affectionner le chiffre 2 pour ses enregistrements récents (avec le Philharmonique de Liège et Louis Langrée : les deux concertos de Liszt, les deux Ravel, et plus original, le 2e d’Erwin Schulhoff),Elle attache très naturellement son effort de nature romantique – ici, Schumann et Dvorak – à des rencontres contemporaines, en particulier Thierry Escaich (le « résident » de l’ONL à Lyon : elle est dédicataire de plusieurs pièces), mais aussi Henri Dutilleux, Eric Tanguy, Sofia Gubaidulina…
Ses partenaires français du très jeune Quatuor Ebène furent révélation du concours de Bordeaux en 2003, année où leur interprétation d’une œuvre d’Edith Canat de Chizy avait été fort remarquée ; en 2005, ils ont reçu un autre prix de « musique d’aujourd’hui » (Fondation Forberg)., et ils sont aussi des passionnés de Haydn comme en témoignent plusieurs cycles de concerts consacrés au Père du Quatuor (en Europe, aux Etats-Unis et au Japon) et un disque « live » pour ce compositeur (Mirare, Harmonia Mundi).
Salle Molière de Lyon. Mardi 13 mai (19h30, mercredi 14 mai 2008 (20h30). Quatuor Ebène (P.Colombet, G.Le Magadure, M.Herzog, R.Merlin) , Claire-Marie Le Guay. W.A.Mozart (1756-1791), Divertimento K.138 ; Robert Schumann (1810-1856), Quintette avec piano op.44 ; Antonin Dvorak ( 1841-1904), Quintette avec piano, op.81 ; Bela Bartok (1881-1945), 3e Quatuor. Présentation des concerts par Daniel Gaudet, mardi 13 mai 2008, 18h30 ; mercredi 14, 19h30.
Crédit photographique: le Quatuor Ebène, J. Mignot (DR). Claire-Marie Le Guay, piano (DR)