jeudi 8 mai 2025

Puteaux. Théâtre des Hauts-de-Seine, le 18 décembre 2010. 1er Concours International Vincenzo Bellini, Finale.

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Les 3èmes Rencontres Musicales de Puteaux touchent à leur fin, et c’est avec la finale du Premier Concours Vincenzo Bellini que le livre de cette aventure se referme. Unique en France par le répertoire qu’elle défend exclusivement, celui de l’opéra italien de la première moitié du 19e siècle, la compétition lyrique consacrée au bel canto se devait de s’achever en… apothéose.
C’est chose faite, par la révélation de beaux interprètes et la consécration d’une jeune artiste au talent exceptionnel. Les six chanteurs sélectionnés pour la finale ont tous donné le meilleur d’eux-mêmes, sous la baguette attentive et paternelle du maestro Marco Guidarini conduisant l’Orchestre Lamoureux. Manque de préparation cependant ou engagement insuffisant, chef et instrumentistes peinent à trouver une entente immédiate.
On regrette ainsi un manque de précision et d’énergie dans les attaques des instrumentistes durant la première partie de la soirée. Mais leur sonorité gagne en homogénéité et en plénitude une fois l’entracte passé, devenant enfin un vrai soutien pour les chanteurs

Le couronnement de Pretty

Premier à se présenter, le ténor coréen Jihan Shin séduit dans une exécution sensible du célèbre « Una furtiva lagrima » extrait de L’Elisir d’Amore de Donizetti. Semblant convenir idéalement à sa nature vocale, l’air lui permet de placer convenablement sa voix. Le chanteur atteint l’aigu sans forcer, il enrichit aussi sa palette de nuances avec de beaux piani. Lors de son second passage, il se lance crânement dans la scène d’Edgardo « Tombe degli avi miei » extrait de Lucia di Lammermoor du même Donizetti. A l’inverse du précédent, cet air est trop lourd pour lui et le force à élargir sa voix, perdant ainsi l’accroche haute et frôlant l’accident dans l’aigu. Mais l’interprète est convaincant et se donne sans compter, avec conviction.

La soprano colombienne Sandra Liz-Cartagena, impressionnante l’avant-veille (demi-finale du 16 décembre 2010) dans l’agilité terrifiante et l’étendue vocale de l’Armida rossinienne, présente malheureusement deux airs qui l’empêchent in fine de faire valoir ses qualités stupéfiantes de virtuose. « Sombre forêt », extrait de Guillaume Tell de Rossini, met trop en valeur la couleur quelque peu métallique de sa voix et un vibrato souvent marqué, ainsi que des aigus serrés, alors que « Casta diva », la prière de Norma de Bellini, expose une difficulté à laisser flotter sa grande voix. La cabalette qui suit lui donne enfin l’occasion de déployer son instrument, et l’aigu cadentiel frappe par la perfection de son attaque, le premier étant même, réellement libre et éclatant.

La soprano française Julie Cherrier débute sa prestation avec le célèbre « Salut à la France » de la Fille du Régiment de Donizetti. La jeune soprano y fait valoir la jolie fraîcheur de son timbre, mais qui manque d’impact et de métal, l’aigu sonnant prudent et étouffé, et les attaques semblant comme soufflées, privant le haut de la voix, de corps et d’ampleur. Dans « Qui la voce sua soave » extrait des Puritani de Bellini, désireuse sans doute de trop bien faire dans l’expression et les nuances, elle alterne fréquemment les forte et les piani, au risque de déstabiliser la ligne musicale. De plus, l’attirail technique nécessaire au bel canto n’est pas encore totalement maîtrisé: les chromatismes manquent de netteté et le legato, de continuité.

Dotée d’un timbre agréable et d’une jolie présence scénique, la soprano espagnole Julia Farrès fait valoir dans « O quante volte » des Capuleti ei Montecchi de Bellini sa belle musicalité, mais le legato n’est pas réellement conduit et l’articulation du texte se révèle un peu hachée. Elle se rattrape de superbe façon avec « Sombre forêt » de Guillaume Tell de Rossini, qui lui permet de dérouler un phrasé remarquable ainsi qu’une diction française d’excellente facture. C’est d’ailleurs ce qui lui vaut de remporter le Troisième Prix, celui de la meilleure interprétation d’un air en langue française.

Candidate atypique par la largeur de son instrument, la soprano espagnole Saioa Hernandez ose la rareté, avec « Pour notre amour » de Guillaume Tell, où elle tente de contenir son flot vocal et montre une agilité rare pour une voix de cette épaisseur. Mais c’est dans « Col sorriso d’innocenza » extrait du Pirata de Bellini qu’elle éclate vraiment, pouvant enfin libérer la puissance de sa voix généreuse, sombre et corsée, véritable soprano dramatique. Les graves sonnent profonds, l’aigu à la fois large et concentré, l’autorité dans l’émission et l’impact dans la déclamation du texte sidèrent, véritable torrent, une future Aïda ou Lady Macbeth. Tout naturellement, le Second Prix, celui de la Ville de Puteaux, lui revient de droit. Emettons cependant une réserve: problème de sélection initiale ou générosité élastique du comité organisateur, -séduit malgré tout par le tempérament de la chanteuse-, Madame Hernandez n’était pas à sa juste place dans un Concours de Bel Canto qui a choisi ce répertoire lyrique spécifique préverdien, entre Rossini et Bellini. L’instrument sonne un peu lourd et même surdimensionné dans le cadre belcantiste. Son talent (indiscutable) la destine non à l’élégiaque bellinien mais plutôt comme nous le précisons, au dramatisme verdien. Notons que la cantatrice a déjà gravi les étapes d’une carrière professionnelle: elle a chanté Norma à … Catane (avec gregory Kunde) et vient d’intepréter… Gilda (Rigoletto de Verdi).

Mais la véritable révélation de ce concours, et notre coup de cœur dès les demi-finales, avouons-le, n’est autre que la splendide Pretty Yende, soprano sud-africaine de 25 ans, en laquelle nous placions tous nos espoirs. Plus qu’une chanteuse, nous avons découvert une artiste, une interprète d’une maturité exceptionnelle, dotée de l’élégance, la noblesse et la simplicité des plus grandes, en somme une véritable diva, dans le sens le plus élevé du terme.
En cette finale, dès la première note, il était évident que la victoire serait pour elle. Avec un goût exquis et dans un français digne d’éloges, elle entre en scène avec l’air « Que n’avons-nous des ailes » extrait de la rarissime Lucie de Lammermoor de Donizetti, version française de sa Lucia. Le timbre est somptueux, chaud, cuivré, moiré, ombre et lumière à la fois, d’une texture extrêmement sensuelle ; la maîtrise technique est accomplie jusque dans les moindre détails, le legato déroulé à l’archet, l’agilité sur le souffle, les trilles parfaitement battus, les piani flottants, les graves délicatement posés, le médium corsé, l’aigu ample et soulevé, jusqu’à un suraigu flûté et puissant à la fois. Mais tout cela ne serait que vaine mécanique sans une musicalité à fleur de peau bouleversante, d’une simplicité dans le traitement de la musique comme on en voit peu, celle-là même qui fait les cantatrices de légende, tout cela accompagné d’un port de reine et d’une tenue scénique d’une noblesse aristocratique. Plus encore, elle dégage une joie de chanter qui la fait littéralement rayonner de bonheur lorsqu’elle ouvre la bouche, un sentiment de bien-être qui se transmet au public, donnant alors à chacun des spectateurs l’impression délicieuse qu’elle chante pour lui seul.
Elle renouvelle ce miracle avec un « Care compagne » de la Sonnambula de Bellini à la fois émouvant et jubilatoire, parfaitement maîtrisé de bout en bout, d’une imagination inouïe dans la variété des couleurs, et d’une précision d’orfèvre jusque dans les ornements et les variations, toujours chantés avec élégance et sensibilité.
Une très grande artiste et interprète du bel canto est née ce soir. Le jury ne s’y est pas trompé, comme votre serviteur qui dès la demi finale avait perçu le talent exceptionnel de la jeune diva, et c’est comme une évidence pour tous qu’elle s’est vue décerner le Grand Prix du Concours Bellini. Une grande carrière s’ouvre à elle, gageons que nous entendrons beaucoup parler de Pretty Yende. Le Prix Bellini 2010 ne fait que confirmer le don de la diva qui a déjà obtenu le Prix du Belvédère à Vienne en 2009.

C’est par le sacre d’une grande artiste que s’achève cette première édition du Concours Vincenzo Bellini. Les Rencontres Musicales ne pouvaient rêver plus beau dénouement. Il ne nous reste qu’à nous réjouir… jusqu’à l’année prochaine. Une nouvelle programmation prometteuse et audacieuse devait bientôt être confirmée… en avant-première sur classiquenews.com, évidemment.

Puteaux. Théâtre des Hauts-de-Seine, 18 décembre 2010. 1er Concours International de Bel Canto Vincenzo Bellini. Finale. Rossini, Bellini, Donizetti.

Illustration: Pretty Yende (DR)
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