vendredi 25 avril 2025

Puccini: Il Trittico (1918): Il Tabarro, Suor Angelica, Gianni Schicchi3 dvd Opus Arte (Pappano, septembre 2011)

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Puccini: Il Trittico par Pappano (Londres, 2011)
Inspiré par un cycle resserré, Giacomo Puccini façonne son Triptyque (Il Tritticco, créé à New York en 1918): soit Il Tabarro, Suor Angelica, Gianni Schicchi ou 3 spectacles à couper le souffle, chacun génialement caractérisé, où l’orchestrateur somptueux et le dramaturge fulgurant, le mélodiste singulier et l’harmoniste audacieux fusionnent pour un théâtre total; où le chant et l’orchestre exaltent la force tragique et saisissante du texte. Où le sens du timing embrase la scène, sans faille ni diluation. A la tête des équipes du Royal Opera House de Londres, Antonio Pappano emporte côute que coûte la cohérence de ce théâtre en 3 facettes. Globalement le niveau vocal est excellent mais la direction pêche par son manque de finesse et de clarté. Nonobstant cette infime réserve, la tenue générale de ce coffret de 3 dvd est indiscutable.


Triptyque puccinien

Il Tabarro. De la fièvre, de l’angoisse dans un orchestre
omniprésent (au risque d’étouffer parfois les voix?), Pappano réussit à
exprimer l’âpre réalisme d’un conte très cynique où le trio traditionnel
de l’opéra italien exalte les tensions émotionnelles entre les
protagonistes; la soprano et le ténor, Giorgetta et Luigi s’aiment en
cachette, à la barbe de l’époux véritable de celle ci, Michele
(baryton). Les deux amants ont à voir avec ceux de Louise de
Charpentier: deux âmes enflammées, ardentes et nostalgiques, portant
chevillé au coeur l’amour de l’asphalte parisien, ce Belleville où ils
sont tous deux nés: jamais Puccini n’a autant déclaré sa flamme à la
ville lumière: ce Paris des amants, d’un romantisme radical et
suicidaire, déjà perceptible dans La Bohème (d’ailleurs l’ombre
de Mimi flotte incidemment dans l’air du ténor à sa fenêtre au début du
drame)… Souvent, le portrait de celui que l’on trompe est loin d’être
tout noir: Michele n’est pas un mari despotique; ardent, « bon et
honnête », il sait lui aussi s’ouvrir aux effluves d’une nostalgie
silencieuse… certes endeuillée par leur enfant mort. Il y a dans la
description puccinienne d’une histoire somme toute anecdotique, la pure
ivresse délirante d’un abandon à la mort: ces 3 inadaptés ne sont pas
heureux et cultivent finalement une addiction à la déploration
tragique… Certes on rêverait d’un Puccini joué comme Ravel: où le
génie des mélodies s’assortisse d’un raffinement de la langue
orchestrale car Pappano a souvent la main lourde, oubliant de faire
jaillir ces joyaux d’instrumentation qui font de Puccini le plus
fascinant orchestrateur de son temps… Eva-Maria Westbroek qui a chanté Mini dans La Fanciulla del West
avec une santé rayonnante, généreuse et féminine, accomplit ici la même
performance: chant embrasé jamais forcé, au service d’une sensibilité
souffrante au désir inassouvi. Lucio Gallo est tout autant
convaincant dans le rôle du mari trompé parfaitement lucide sur
l’infidélité de sa femme… le renversement de son personnage: du
pardon qui s’affiche au début, au poison éruptif du soupçon et de la
jalousie, l’acteur, mari criminel, est stupéfiant de justesse et de
vérité: un modèle du jeu vériste, mesuré, jamais appuyé. Seul Aleksandrs Antonenko
faiblit : il ne partage pas à ce niveau d’engagement, le souci de la
langue défendu par ses partenaires. On voit bien que l’écriture de
Puccini transfigure l’anecdote : Il Tabarro pourrait être l’esquisse et
le manifeste de toute l’esthétique lyrique de l’opéra italien au début
du XXè. Reste Pappano, c’est pour nous le seul bémol de cette production
exemplaire (les décors, les seconds rôles qui donnent vie à l’activité
de la berge parisienne: la formidable Frugola/La Furette de Irina Mishura…):
pourquoi diable le maestro nous assène-t-il tant d’effets
superfétatoires quand une direction plus mesurée, claire et brillante
suffirait à rendre tout le génie puccinien?
Après tout jouer Wagner intimiste n’est pas si contre productif ! Dans
le cas de Puccini, le bénéfice serait tout autant profitable.

Suor Angelica. Avec le recul, et en comparaison avec ses deux autres volets, Suor Angelica est l’opéra le moins réussi de la trilogie du Trittico puccinien. Les 30 premières minutes restent bavardent et anecdotiques même si elles sont destinées à exposer lieu, action, caractères: les épisodes qui se succèdent: les rayons de soleil sur la fontaine transformant l’eau en or; la piqûre de guêpe et le remède concocté par Angelica en soeur guérisseuse; puis les fruits de la quête, enfin l’annonce d’une visite au parloir… sont musicalement faibles; tout bascule avec la confrontation de la tante d’Angélique, cette princesse (Impeccable Anna Larsson) venue laver l’honneur d’une famille salie par la faute d’Angélique… laquelle se montre révoltée contre l’ordre qui la contraint à l’expiation … depuis 7 ans. Ainsi se dévoile le secret de Suor Angelica qui a eu hors mariage, un enfant.
La tragédie s’épaissit encore lorsque la tante apprend à sa nièce détestée que son pauvre garçon est mort de maladie… Puccini écrit enfin le premier grand air du drame: lamento grave et sombre d’une jeune mère anéantie par ce qu’elle vient d’apprendre et qui retrouve le souffle sacrificiel et délirant de Butterfly.
La suite de l’opéra en un acte est déséquilibré et la descente de la grâce divine mise en parallèle avec la mort par poison d’Angelica pose des problèmes de réalisation scénique que la présente production ne règle pas… bien au contraire. Les enfants de la nurserie qui assistent aux cris et convulsions d’une suicidaire en panique, se remettront-ils de cette scène traumatique ?
Tout pourrait ici basculer dans le ridicule pathétique et la théâtralité sirupeuse (Pappano en fait des tonnes) s’il n’était le chant incandescent et très habité de la jeune mezzo Ermonela Jaho, juste, sans apprêts vulgaires ni affectation surexpressive. La mesure et aussi le juste dosage des accents déchirants réalisent une réussite vocale et dramatique qui fait toute la séduction de cette production. A voir.

Gianni Schicchi. D’après un conte décrit par Dante, Puccini adapte pour la première fois, le genre comique dont il fait ici, après le Falstaff de Verdi, un pur joyau délirant, délicieusement cynique et parfaitement satirique. Comme Paris dans Il Tabarro, c’est ici Florence qui inspire les pages les plus lyriques auxquelles le compositeur associe le duo des amants, Lauretta et Rinuccio; du reste c’est pour eux que l’ingénieux Gianni Schicchi (le père de la jeune fille) élabore son plan en travestissement et usurpation afin qu’ils s’aiment dans la maison florentine dont ils savent si justement célébrer le charme. Par la voix de Rinuccio s’exprime une vibrante apologie de la cité Toscane et de ses environs; et Puccini réserve à Lauretta le plus bel air de l’opéra (o moi caro bambino…) très habilement placé dans le fil narratif, quand encore circonspect quant à l’application du stratagème, Gianni succombe finalement à l’insistance de sa fille si insistante et si amoureuse; en outre, le compositeur oppose avec finesse l’ardente juvénilité des deux cœurs aimants à l’étroitesse d’esprits des parents du défunt venus récupérer, coûte que coûte, leur part d’héritage.
Les qualités et les limites de Pappano éclatent au grand jour dans ce dernier volet puccinien: le geste s’empare de la verve comique avec boursouflure, exhalant un souffle démonstratif dans une partition qui exige a contrario la subtilité truculente des operas Buffa de Donizetti (Don Pasquale); heureusement la présence dans le rôle-titre de l’excellent Lucio Gallo (qui fait également dans Il Tabarro, un Michele très convaincant), rehausse le niveau stylistique: acteur autant que chanteur, le baryton donne une leçon d’intelligence prosodique, de clarté gestuelle, d’intensité scénique, naturelle et détaillée… Entre autres quand il singe le mourant dictant ses fausses dernières volontés au notaire berné; quand en fin d’action, il s’adresse aux spectateurs, citant Dante…, souhaitant avoir diverti son bon public.
Autour du merveilleux interprète, dont la performance est un miracle en soi d’astuce dramatique, tout le plateau se dépasse (Rinuccio, Lauretta, Zigta…: respectivement, Francesco Demuro, Ekaterina Siurina, Elena Zilio) offrant cette farce caustique absolument irrésistible.

Puccini: Il Tritticco, 1918. Il Tabarro, Suor Angelica, Gianni Schicchi. Royal Opera chorus and orchestra. Antonio Pappano, direction. Enregistré à Londres en septembre 2011. 3 dvd Opus Arte OA 1070 D.

Illustrations: Impeccable Lucio Gallo dans le rôle malicieux démirugique de Schicchi; avec Eva-Maria Westbroeck dans Il Tabarro, en un duo incandescent et très convaincant (DR)
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