Le JOA Jeune Orchestre Atlantique
Wölfl; Ritter; Salieri; Mozart
Par notre envoyée spéciale, Hélène Biard
Depuis 1996, le principe du Jeune Orchestre Atlantique, fondé par Philippe Herreweghe et l’Abbaye aux Dames de Saintes, offre aux jeunes professionnels ou aux étudiants en fin de cycles, une formation sur instruments d’époque au cours de sessions de quatre à huit jours avec des chefs d’orchestre de renommée internationale. Pour la session de novembre qui débouche sur trois concerts, c’est Christophe Coin, violoncelliste, gambiste, directeur musical et chef de l’Ensemble baroque de Limoges, qui prend la direction de la jeune phalange. Après un concert au profit de l’association « mécénat chirurgie cardiaque » donné à Bordeaux, le Jeune Orchestre Atlantique et le Jeune Choeur de Paris (fondé par Laurence Equilbey) s’arrêtent à Poitiers le temps d’une soirée. Au programme, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et Antonio Salieri (1750-1825) côtoient deux compositeurs méconnus : Joseph Wölfl (1773-1812) et Joseph Ritter (1763-1846); connu pour être un « défricheur » de répertoires et soucieux de présenter de « nouveaux » compositeurs au public Christophe Coin l’emmène sur de nouveaux sentiers, non sans gourmandise.
Wölfl; Ritter; Salieri; Mozart
Le Jeune Orchestre Atlantique s’arrête à Poitiers
Contemporain de Mozart, qui est aussi son ainé et son ami après que les deux hommes se soient rencontrés à Vienne (Autriche), Joseph Wölfl (1773-1812) fut, dans sa jeunesse, l’élève de Léopold Mozart. Sa symphonie en sol mineur, dédiée à Luigi Cherubini, est la première d’un cycle de trois (dont deux seulement nous sont parvenues); la partition est créée en 1803. Bâtie sur un schéma peu banal mais efficace, elle contient de fort jolies pages. Christophe Coin dirige tout en finesse et avec fermeté, une partition au détour de laquelle on trouve des accents assez mozartiens. Les années d’apprentissage auprès de Léopold et, peut-être, auprès de Wolfgang lui même n’y sont sans doute pas étrangères; le chef limougeaud ne peut néanmoins empêcher quelques fausses notes du côté du pupitre des cors. Ce bref passage à vide ne ternit en aucun cas la très belle interprétation d’une symphonie qui gagne véritablement à être connue et mérite largement d’être mise à l’honneur dans un concert aussi haut en couleurs.
Antonio Salieri (1750-1825) est âgé de six ans de plus que Mozart ; il est présenté comme le rival rongé de jalousie du compositeur salzourgeois… il n’est cependant rien de plus faux et l’italien a très, trop longtemps souffert de la vilaine réputation qui lui a été faite. Certes, sa musique n’a pas le panache guilleret et l’allant génialement humain de celle de Mozart, mais elle présente quand même des oeuvres de belle facture qui n’ont rien à envier à celles d’un Mozart ou d’un Haydn par exemple. Le Jugement dernier est une cantate composée en 1788 sur un livret en français: elle permet au public de découvrir le Jeune Choeur de Paris. Les jeunes chanteurs, tous élèves des classes de chanteurs du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, font preuve d’une très belle musicalité; en revanche la diction laisse à désirer et il faut tendre l’oreille pour arriver à comprendre le texte. C’est au jeune ténor Alexandre Pradier qu’a été confié la brève intervention soliste de la cantate; Salieri a composé une page exigeante et tendue et si le jeune homme est à la peine dans les aigus, la voix semble solide et prometteuse. Avec encore du travail et un peu de sagesse au cours de sa future carrière, le soliste pourrait faire parler de lui dans les années à venir.
Après l’entracte, Christophe Coin et le Jeune Orchestre Atlantique jouent le Concerto en la mineur pour violoncelle de Peter Ritter (1763-1846) et pour l’occasion, le chef reprend son violoncelle, dirigeant ainsi l’orchestre de son siège. Musicien polyvalent et talentueux, Coin fait sonner son instrument avec une souplesse qui étonne et séduit; là aussi Ritter compose des pages peu évidentes mais de toute beauté et on comprend que le chef ait voulu mettre ce compositeur, tout aussi méconnu que Wölfl, à l’honneur. Violoncelliste de formation, Ritter ne pouvait ne pas composer pour cet instrument ; son Concerto en la mineur est une pièce maitresse du répertoire; il est heureux que Christophe Coin, qui passe par ailleurs un temps considérable à faire des recherches musicologiques, ait mis la main sur ce bijou tant la musique de Ritter est à la croisée des chemins, entre Mozart et Haydn, entre autres, sans pour autant tomber dans l’imitation ou dans la facilité. Ritter développe un style très personnel et séduisant dont Christophe Coin saisit parfaitement le sens et qu’il transmet avec passion à ses musiciens.
En fin de concert, le Jeune Choeur de Paris revient sur scène et Christophe Coin lance les premières mesures d’un oeuvre de jeunesse de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791); si Thamos, roi d’Égypte qui date de 1770, Mozart n’avait alors que quatorze ans, est resté inachevé, l’oeuvre préfigure ce que sera Die Zauberflöte, vingt et un ans plus tard. A mi chemin entre la musique de scène et l’opéra, Thamos roi d’Égypte est déjà composé sur un livret en allemand et Mozart qui n’est encore qu’un tout jeune génie, glisse déjà plus ou moins vers une inspiration maçonnique. Thamos qui débute par une ouverture allante et pleine de fraicheur qui nécessite une attention de chaque instant,tant de la part du chef que de celle des musiciens.
Mozart utilise avec talent les techniques de composition dont il dispose en 1770, n’hésitant pas à aller plus loin, incitant ainsi ses interprètes (musiciens d’orchestre, chefs et chanteurs) à se dépasser et à se renouveler sans cesse. Ce défi permanent semble inspirer voire électriser les jeunes chanteurs : survoltés, ils donnent le meilleur d’eux mêmes sans se faire prier. S’il n’était la diction aléatoire, comme précédemment dans Le jugement dernier, il est appréciable de voir que le soin apporté à l’interprétation musicale est d’un niveau aussi élevé qu’en première partie; et en cela le travail du chef de choeur Henri Chalet est remarquable.
Pour cette session d’automne, Christophe Coin propose au Jeune Orchestre Atlantique et à son public un programme qui a le mérite de faire ressortir de l’oubli deux contemporains de Mozart : Joseph Wölfl et Peter Ritter dont les oeuvres n’ont rien à envier à celles de Mozart ou de Salieri. Les quatre oeuvres présentées, dont deux oeuvres vocales qui permettent au Jeune Choeur de Paris de se faire remarquer, présentent des similitudes du fait que chacun des compositeurs laisse transparaitre plus ou moins intensément les diverses influences qui leur ont permis de se forger un style tout personnel que Mozart porte à un point d’incandescence qui rend son oeuvre reconnaissable entre toute. N’oublions pas non plus que le compositeur salzbourgeois a lui aussi influencé ses collègues plus ou moins fortement et que cette influence transparait aussi dans leurs oeuvres. Le jeune Orchestre Atlantique galvanisé par la présence d’un chef ferme et dynamique donne le meilleur de lui même ; s’il y a quelques fausses notes en tout début de concert, il ne démérite absolument pas. Quant au Jeune Choeur de Paris, – diction mise à part-, les jeunes chanteurs font preuve d’une belle musicalité.
Poitiers. Auditorium, le 9 novembre 2012. Joseph Wölfl (1773-1812) : Symphonie en sol mineur; Peter Ritter (1763-1846) : concerto en la mineur pour violoncelle; Antonio Salieri (1750-1825) : Le jugement dernier; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Thamos, roi d’Égypte (extraits). Alexandre Pradier; Jeune Choeur de Paris; Jeune Orchestre Atlantique. Henri Chalet, chef de choeur; Christophe Coin, direction.