mardi 6 mai 2025

Poitiers. Auditorium, le 20 octobre 2012. Haydn, Dutilleux, R.Strauss. Orchestre Poitou Charentes; Ernest Martinez-Izquierdo, direction.

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Concert, compte rendu, critique
Par notre envoyée spéciale Hélène Biard
L’Orchestre Poitou Charentes démarre sur les chapeaux de roue
Après l’Orchestre des Champs Élysées le 14 octobre dernier, voici l’Orchestre Poitou Charentes qui lance sa saison musicale au Théâtre Auditorium de Poitiers. Et pour son premier concert de l’année, l’orchestre accueille le chef espagnol Ernest Martinez-Izquierdo en lieu et place de son chef principal, Jean François Heisser. Le programme tourne autour d’une thématique qui jalonne tant l’histoire de l’humanité et des arts en général que l’histoire de la musique en particulier : la philosophie. Il est cependant assez difficile d’imaginer programme plus hétéroclite que celui qui est présenté en ce samedi soir car il rassemble en une même soirée Joseph Haydn (1732-1809), Henri Dutilleux (né en 1916) et Richard Strauss (1864-1949).
Contemporain de Mozart dont il est l’ainé et l’ami, Joseph Haydn (1732-1809) a composé plus de cent symphonies et celle du programme la n°22 surnommée « Le philosophe », est en quatre mouvements.

Dès le début du concert, Ernest Martinez-Izquierdo prend la musique de Haydn à bras le corps; la main est ferme, et le corps, diffusant dynamisme et énergie, semble danser parfois sur son estrade. De structure assez inhabituelle adagio/presto/menuet/presto, l’oeuvre de Haydn moins jouée que certaines autres symphonies tirées des « cycles » londonien ou parisien, par exemple, gagne pourtant à être connue tant ellefoisonne de mélodies et de thèmes charmants. les musiciens suivent leur chef d’un soir avec un réel plaisir; comme Philippe Herreweghe quelques jours plus tôt, Ernest Martinez-Izquierdo, toujours ferme, net, précis, fait sien le dicton « une main de fer dans un gant de velours ».

C’est d’autant plus appréciable dans l’oeuvre qui suit, Le mystère de l’instant d’Henri Dutilleux (né en 1916), c’est l’accomplissement d’une carrière discrète et parfaitement menée; lorsque le chef d’orchestre Paul Sacher (qui officie à Zürich) commande une oeuvre à Henri Dutilleux, le compositeur est alors âgé de soixante-dix ans. Qu’à cela ne tienne, il compose Le mystère de l’instant à partir de 1986 et en livre les dix mouvements à son commanditaire, qui en est aussi le créateur, en 1989. Si la musique peut surprendre, voire inquiéter ou déranger, elle n’en n’est pas moins claire et précise, offrant une lecture assez facile pour qui connait bien le compositeur. Là, aussi le chef espagnol tient son orchestre en main sans jamais se laisser dépasser ni tomber dans la facilité; et d’ailleurs, Le mystère de l’instant ne le permet pas. Il faut bien admettre que les dix mouvements de l’oeuvre, pour plus ou moins brefs qu’ils soient, sont d’une densité et d’une précision métronomique incomparables et que l’ensemble n’est pas à la portée de tous. Cependant, excellent musicien, fin connaisseur du répertoire contemporain, tout comme Jean François Heisser, Ernest Martinez-Izquierdo rend parfaitement justice à une oeuvre que Dutilleux a voulu intense et murement pensée. Le geste est agile, clair: il rend la musique, immédiatement accessible.

Après l’entracte, l’Orchestre Poitou Charentes joue une oeuvre de Richard Strauss (1864-1949) qui est directement inspirée de la comédie de Molière « Le bourgeois gentilhomme ». La suite qui porte d’ailleurs le même titre que la pièce a été tirée d’un projet de Strauss qui voulait composer un nouvel opéra; si l’ouvrage en question fut un échec cuisant, le compositeur conserva son oeuvre pour finalement en faire deux pièces distinctes : Ariane à Naxos (opéra créé en 1916) et la suite instrumentale intitulée « Le bourgeois gentilhomme » (finalement créée en 1920). L’oeuvre de Strauss se situe à la croisée des chemins; elle n’est pas tout à fait moderne ni totalement romantique, mais pas non plus contemporaine. Richard Strauss utilise avec un art consommé toutes les techniques dont il dispose dans les années 1910 pour en fin de compte composer un pastiche d’une qualité exceptionnnelle, une manière d’hommage aux compositeurs de la période baroque en général et à Lully en particulier. Ernest Martinez-Izquierdo passe avec talent et sans aucune faiblesse de la période classique à la période
contemporaine puis à la période moderne. Il dirige la suite de Strauss comme les deux oeuvres précédentes, c’est à dire avec une maestria digne des plus grands, et fait résonner la musique du compositeur munichois avec une verve épatante; la la gestuelle, surtout dans cette dernière pièce, est parfois un peu surprenante; elle n’en n’est pas moins précise, vive et les musiciens la suivent à la lettre.


Ernest Martinez-Izquierdo, chef des grands soirs

Il ne manque rien à l’Orchestre Poitou Charentes pour donner un concert de haute volée; en ce début de saison, c’est chose faite et même si on peut s’étonner de voir trois compositeurs aussi radicalement différents les uns des autres, l’esprit même du programme tel qu’il a été voulu par Jean François Heisser est présent à chaque page, et dans chaque recoin des oeuvres présentées. Car en fin de compte, la philosophie ne se discute pas qu’à travers des mots, c’est aussi par une certaine lecture de la vie, ou comme l’a fait Dutilleux, de tranches de vies prises sur le vif, par l’art et plus spécifiquement par la musique. Ernest Martinez-Izquierdo reçoit un accueil chaleureux d’autant plus mérité que le chef, qui était déjà venu en 2010, dirige avec une maestria incomparable un orchestre des grands soirs. Dans un programme peu évident et rempli de pièges, le tempérament du maestro invité s’en sort avec les honneurs.

Poitiers. Auditorium, le 20 octobre 2012. Joseph Haydn (1732-1809) : symphonie N°22 « le philosophe »; Henri Dutilleux (né en 1916) : le mystère de l’instant; Richard Strauss (1864-1949) : Le bourgeois gentilhomme. Orchestre Poitou Charentes; Ernest Martinez-Izquierdo, direction. Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale à Poitiers, Hélène Biard.

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