mercredi 7 mai 2025

Pierre Boulez dirige Debussy, Ravelcoffret 6 cd Deutsche Grammophon

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Pierre Boulez dirige Ravel et Debussy

L’analytique et cérébral Boulez s’autorise dans ces enregistrements ravéliens et debussystes de claires et mesurées épanchements. Le très modéré Prélude à l’après-midi d’un faune s’alanguit mollement mais avec une délicatesse de timbres à la fois lisse et polie (superbe Cleveland orchestra dans une prise de référence réalisée en 1991). L’ensemble des enregistrements de ce coffret de 6 cd réunit les derniers accomplissements du compositeur chef, ceux des années 1990. Le cd 3 (Shéhérazade avec Von Otter à peine intelligible mais d’un timbre très chatoyant; Menuet antique et Pavane pour une infante défunte) offrant les lectures les plus récentes (1999).
Belle fièvre en particulier dans Jeux de vagues (II) et Dialoge du vent et de la mer (III) de La Mer (toujours avec le Cleveland) même si aujourd’hui en terme de chatoiement des timbres et de finesse scintillante des instruments originaux, l’approche de François Xavier Roth par exemple avec son formidable orchestre Les Siècles se hissent nettement plus haut dans notre estimation de l’oeuvre océane de Debussy… Chez Boulez tout est lisse et passablement étal: les aspérités, les contrastes que permettent les instruments historiques comme éclats, intensité, accents mordants… restent totalement étrangers ici.
En 1999, voici Shéhérazade de Ravel: l’orchestre de Cleveland est somptueux là encore, d’un sirop détaillé et finement tressé mais il manque tellement d’ambivalence, de mystère: tout est dit dans une brume claire et élégante. Malgré le miel onctueux de Anne Sofie von Otter, le texte et sa verve articulée se perd dans l’éclatement sonore des instruments. Pas aussi à l’aise car non francophone, Otter en fait même trop: application, souci, scrupule, affectation même… son verbe manque de cette lumineuse évidence d’une Véronique Gens par exemple.

Plus ravélien que debussyste

Serait-il plus inspiré par Ravel que Debussy? Boulez bouleverse infiniment plus dans la mécanique horlogère du premier avec une pudeur cérébrale qui convient parfaitement aux climats de Maurice: Ma Mère l’Oye est d’une architecture cristalline, d’une subtilité suggestive irrésistible (prise de 1994): il faut dire que le Berliner Philharmoniker est d’une tenue élégantissime, répondant au chef jusqu’à la moindre indication des cils et de la baguette… c’est du très bel ouvrage. Même opulence secrète, lovée au fond d’une blessure secrète: le ballet intégral de Daphnis et Chloé, sur l’argument de Michel Fokine est assurément le clou etle volet le plus essentiel de ce coffret événement; il bouleverse par sa sage et pudique langueur: le travail sur les timbres et la fusion avec le choeur est à couper le souffle: ravélien, Boulez se dépasse ici, en une esthétique arachnéenne, millimétrée. L’embrasement des instruments, ce scintillement miroitant sont magnifiquement restitués et c’est un comble au bénéfice des instrumentistes berlinois qu’aucun orchestre français sur instruments modernes n’atteigne aujourd’hui une telle concision nerveuse, une telle richesse agogique, une maîtrise dynamique aussi aboutie et raffinée. La danse du 3 (vif) quand les deux amants sont emportés malgré eux par l’imminescence de la catastrophe à venir, l’expression d’un souffle dyonisiaque se fait jour; puis c’est le couple Daphnis/Lycérion qui chaloupe en voluptueuses arabesques… (6): la flûte aérienne et solaire indique cette fascination toute classique et presque épurée ressentie par les compositeurs français pour la fresque mythologique. Quand au tableau des statues des nymphes ressuscitant, invoquant le dieu Pan (7), l’irréalité, l’évanescence, l’onirisme paraissent avec une élégance de ton qui fait toute la valeur de la lecture boulézienne; on comprend immédiatement comment Daphnis a fait un rêve où Chloé étant enlevée par les brigands est sauvée par Pan: le réveil de Daphnis et la fameuse aube de la nature, (11: lent) sont époustouflants de finesse et de pudeur rentrée: Boulez prend aux pieds de la lettre ce manifeste antiwagnérien, sommet absolu de cette transparence française inaccessible à toute autre sensibilité. Cette archive berlinoise de 1994 est évidemment un sommet boulézien.
Même année (1994), mais à Cleveland, le chef enregistre avec Krystian Zimerman, l’illustrissime Concerto pour piano en sol majeur: un concentré de finesse et de subtilité partagées par deux immenses artistes: le sens des phrasés, les respirations, les nuances dans l’émission, la fusion et l’équilibre orchestre et piano sont admirables de bout en bout. Alors vous l’aurez compris, ce coffret est un incontournable et pour nous Boulez se révèle assurément plus ravélien que Debussyste. Est ce vraiment hasard si la boîte comporte 4 cd dédié à l’auteur du Boléro quand Debussy n’occupe que 4 galettes? Coffret événement.

Boulez: Ravel, Debussy. 6 cd Deutsche Grammophon.
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