Philippe Boesmans
Yvonne
Princesse de Bourgogne
Création belge
Bruxelles, La Monnaie
9 représentations
Du 9 au 21 septembre 2010
Patrick Davin, direction
Luc Bondy, mise en scène
La Monnaie entame sa saison 2010-2011 avec la création belge de la réjouissante et cynique comédie de Philippe Boesmans (né en 1936) d’après la pièce éponyme de Witold Gombrowicz adaptée pour l’opéra par Luc Bondy et Marie-Louise Bischofberger. Créé au Palais Garnier le 24 janvier 2009 à Paris, l’ouvrage du compositeur belge sera-t-il salué avec le même enthousiasme dans sa patrie? Au départ, il s’agissait d’une commande passée par l’Opéra national de Paris, alors dirigé par Gérard Mortier.
Ecriture raffinée, comme taillée au scalpel, personnages sertis dans le cynisme le plus mordant, l’opéra de Boesmans n’ôte en rien au sujet originel, sa force parodique ni sa saveur satirique sur la nature humaine.
Laideron bouc émissaire
Yvonne, Princesse de Bourgogne est une pièce qui confronte grotesque et sublime. Dans ce conte de fée « à l’envers », à l’onirisme décalé entre rêve et cauchemar, la laideur de l’héroïne et surtout son mutisme, phénomène ahurissant sur une scène théâtrale, suscite fascination, trouble, cruauté: fascination, répulsion. Comme la beauté dans le film de Pasolini Théorème, la laideur fait remonter « le désordre profond des âmes »; la barbarie et ce besoin de haine propre aux hommes intrigants. L’œuvre met en relief désir et dégoût, tolérance et intolérance. La différence crée l’exclusion de celui ou celle ici, qui l’incarne. Le groupe un temps fasciné par son extravagante beauté, rejette bientôt avec une cruauté égale à l’attirance primordiale.
Grave et légère, déroutante, acide et élégante, la musique narrative et virtuose de Philippe Boesmans cisèle la projection du français, choix linguistique inédit dans l’oeuvre du compositeur. Il inscrit Yvonne parmi les opéras français contemporains les plus importants de ce début de siècle. C’est une immersion du grand opéra dans le genre délirant et effrayant de l’absurde et de l’opéra bouffe revisité. On y rit, on s’y moque jusqu’à la lapidation crue. Dans un bavardage caustique qui porte les fantasmes et les peurs du corps social, seule Yvonne tranche par son silence, auréolée d’une musique mystérieuse et fascinante, une « musique-pour-Yvonne-qui-se-tait », petit thème en majeur très reconnaissable.
Philippe Boesmans a créé pour la Monnaie de nombreuses œuvres, parmi lesquelles La Passion de Gilles (1983), les Trakl-lieder (1987) – qui seront proposés lors d’un concert avec Hartmut Haenchen le 29 septembre 2010 – Reigen (1993), début d’une longue collaboration avec Luc Bondy qui s’est poursuivi avec Wintermärchen (1999), Julie (2005) et aujourd’hui Yvonne, princesse de Bourgogne. Il est aussi l’auteur d’intenses œuvres de concert, notamment Summer Dreams pour quatuor à corde, Ornamented Zone pour clarinette, alto, violoncelle et piano, commandé par l’Ensemble Intercontemporain, et Fanfare III, pour aulochrome (nouvel instrument à vent polyphonique) et orchestre, commandée par l’Orchestre symphonique du SWR de Baden-Baden & Freiburg.
Lire aussi « Surréalisme cynique »: notre critique de la première parisienne de Yvonne, opéra de Philippe Boesmans, en janvier 2009.
Illustrations: Yvonne © R.Waltz. Philippe Boesmans © H.Ricour