mardi 6 mai 2025

Peralada. Auditorium, festival international d’art lyrique, le 3 août 2011. Bianca Li: Le Jardin des délices (2009)

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L’édition de ses 25 ans, inscrit le festival catalan parmi les plus intéressantes scènes lyriques et chorégraphiques de l’été. Peralada est « le » festival incontournable en Catalogne (Emporda: nord de la Catalogne espagnole), l’équivalent ibérique d’Aix en Provence: le festivalier peut y goûter le temps du festival programmé à cheval sur juillet et août, une atmosphère suspendue de pure délectation dans un site unique: flâner dans le parc dessiné peu avant 1880 par Duvilliers, selon une esthétique française; surtout découvrir les productions à l’affiche sur la scène de l’auditorium, théâtre qui permet les représentations d’opéras et de ballets sous la voûte étoilée.


Délices déjantés de Bianca Li

Quelques esprits avisés, soucieux de mêler les plaisirs sensoriels, pourront aussi savourer l’une des tables les plus raffinées de la Costa Brava et préparer leur soirée musicale (séance à 22h) grâce au restaurant sous les étoiles au pied des tours du château: un buffet aux mets variés à volonté (formule spéciale pour les soirs de représentations à 47 euros par personnes: ouverture du restaurant dès 20h).
Peralada pourvoit ainsi à toutes les attentes estivales et ce n’est pas le spectacle signé Bianca Li qui abaisse le niveau général. Les montpélliérains ont découvert ce Jardin des Délices à sa création en 2009: le ballet de la chorégraphe née à Grenade ouvrait alors en fanfare le festival de Danse. Une immersion poétique et drôlatique dans le monde de Jérôme Bosch, en particulier dans le triptyque peint en 1504 qui fait toujours la fierté du Prado, et l’éclat particulier de ses salles du rez de chaussée.
L’oeuvre peint de Bosch (Bosco pour les catalans) inspire à Bianca Li l’une de ses réalisations les plus déjantées, les plus poétiques, visuellement forte et surprenante qui tire la danse vers la théâtre comique, le cabaret voire la comédie musicale et bien sûr, délices oblige, en une magie de l’étrange où tout un bestiaire d’insectes et d’animaux s’enhardissent sur les planches de l’Auditorium à Peralada.
Au XVIè, Bosch savait imaginer un monde visuel fabuleux, à la fois fantastique et terrifiant, onirique et érotique, mais aussi réaliste voire satirique, dénonçant les travers de la société de la Renaissance nordique. La jeune Bianca Li, alors madrilène, visite les salles du Prado et se délecte à de nombreuses reprises de ce tableau qui foisonne et captive. La chorégraphe en tire toute la verve poétique pour construire un spectacle haut en couleurs auquel les images animées et projetées de la graphiste Eve Ramboz apportent une dimension fantasmagorique, convoquant sur la scène toutes les figures si improbables du peintre: licorne s’abreuvant, girafe pissant, griffon ailé; crucifié sur les cordes d’une harpe, couple caché, jeune femme répondant en miroir au solo dansé de Bianca Li...

Entre chaque tableau citant l’univers de Bosch, la chorégraphe imagine des seynettes théâtrales dont le mordant déjanté en prolongeant la satire du peintre, s’inscrivent dans notre quotidien le plus grotesque: chant solo d’une inconsolable amoureuse (référence à Almodovar?), délire et folie sur le service clientèle d’une fournisseur de téléphonie mobile (avec en bonus, le couple Sarkozy traversant la scène…) dans ce qui pourrait être compris comme le comble du bling bling… Parmi les gags les plus réussis: le tableau de la machine à sou (d’autant plus opportun à Peralada qui compte de facto son casino); le pas de trois des danseuses en ciré transparent sautillant de concert chacune une pantoufle à son pied droit, l’autre étant posé sur leur tête; les amateurs de danse pure pourront y regretter cette affection majoritaire pour la comédie; mais heureusement, quelques très beaux passages dansés (solo du danseur en fin de spectacle) rétablissent la part de la chorégraphie dans un spectacle joué comme une pièce comique et critique.

Avec Nabucco en ouverture, puis la nouvelle production lyrique présentée en 2011: l’Orfeo ed Euridice de Gluck dans la mise en scène « romanique » (romane) de Carlus Pedrissa (La Fura dels Baus), ce Jardin des délices si bien serti dans le parc du Castell Peralada reste l’un des temps forts de l’édition du festival de Peralada 2011.
En réinventant sur la base des figures produites par Bosch, tout un monde mi poétique mi contemporain, Bianca Li offre un spectacle complet, où la danse est inscrite dans une dynamique théâtrale et visuelle originale. La chorégraphe montre qu’elle maîtrise le sens du rythme et des contrastes, à la fois loufoques et tendres, certes décalés mais souvent caustiques. La performance des 9 danseurs et du pianiste Jeff Cohen est remarquable, chacun porteur d’expressivité, entre désinvolture, souveraine fantaisie et référence subtile à l’imaginaire de Bosch. On regrette de ne pas revoir ce ballet atypique en France. Saluons Peralada de nous l’offrir pour son 25è anniversaire. De surcroit dans l’écrin de son audotorium, superbe théâtre de plein air, dont le rideau de scène, rouge et or rappelle la magie des salles les plus prestigieuses d’Europe.

Peralada (Espagne, Emporda). 25è festival Castell de Peralada, le 3 août 2011. Bianca Li: Les Jardin des délices, d’après Jérôme Bosch (2009). Eve Ramboz, images animées projetées. Danseurs de la compagnie Bianca Li. Jeff Cohen, piano.

llustrations: © festival Castell Peralada 2011: Josep Aznar

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