jeudi 8 mai 2025

Parme. Teatro Regio de Parme, le 1er octobre 2012. Verdi, Rigoletto. Leo Nucci, Rigoletto…Filarmonica Arturo Toscanini. Daniel Oren, direction; Elisabetta Brusa, mise en scène

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Rigoletto au festival Verdi de Parme
Par notre envoyée spéciale Hélène Biard

Le festival Verdi de Parme est depuis longtemps l’une des grandes institutions du paysage lyriques italien; et si des incertitudes ont pu planer sur l’édition 2012, elles ont rapidement été balayées d’un revers de la main. Deux oeuvres, dont une rareté, sont au programme du festival 2012 : Rigoletto est la première d’entre elles. L’oeuvre a pourtant bien failli ne jamais voir le jour tant Giuseppe Verdi (1813-1901) et son librettiste, Franscesco Maria Piave, se sont heurtés à la censure vénitienne qui rechignait à voir les puissants du jour dépeints sous un angle si peu flatteur.


Leo Nucci au sommet de son art

Ce n’est qu’après maintes négociations et concessions entre la Fenice de Venise, Verdi et les censeurs que Rigoletto, d’après la pièce « Le roi s’amuse » de Victor Hugo, peut enfin être composé; l’ouvrage est créé le 11 mars 1851. L’accueil du public et de la critique est un triomphe éclatant qui efface les doutes de Verdi et dépasse même ses espérances; il ne se démentira jamais plus par la suite tant en Italie que sur les grandes scènes lyriques européennes et internationales. Pour cette nouvelle production, les responsables du Regio de Parme ont réuni un plateau remarquable emmené par un Leo Nucci en grande forme et qui, à soixante dix ans, prend le personnage tellement à son compte qu’on en oublie la scène, la salle … tout ce qui est autour.

La mise en scène d’Elisabetta Brusa, qui reprend celle de Pier Luigi Samaritani datant des années 1990, est magnifique bien que parfois à la peine. Ainsi la fête du duc de Mantoue se déroule sur un demi plateau si chargé d’accessoires, de figurants et de choristes que les solistes ont parfois du mal à évoluer explicitement.A d’autres moments, heureusement fort rares, elle ressemble plutôt à une mise en espace, notamment pour le premier air du duc (« questa o quella ») et lorsque Monterone part pour l’échafaud. Il n’en demeure pas moins vrai, malgré des détails somme toute mineurs, que dans l’ensemble, la mise en scène, certes conventionnelle et très réaliste, donne à ce Rigoletto une incontestable force. Brusa est aidée en cela par les décors et les costumes superbes de Pier Luigi Samaritani; mais la grande réussite de la soirée, tient aux lumières comme aux éclairages d’Andrea Borelli qui réalise de véritables prouesses; le point d’orgue visuel en est, au troisième acte, par ailleurs inégalable, la mort de la malheureuse Gilda dans les bras de son père fou de chagrin.

Le plateau vocal est idéal et le Teatro regio de Parme n’a pas hésité à viser très haut en invitant le Rigoletto dont rêve toute grande scène lyrique : Leo Nucci. Le baryton italien ne se contente pas de chanter et de jouer la comédie; il entre dans la peau du bouffon avec une telle énergie, un tel cran, qu’il est le bouffon avec ses qualités et ses défauts, dans toute sa splendide déchéance. Né bossu, rejeté par tous, il se venge avec des mots durs, caustiques, cruels sans réaliser que cela va lui revenir en pleine face par l’intermédiaire d’une innocente victime : sa fille adorée.
Nucci qui fait passer Rigoletto par une large palette d’émotions et de sentiments montre aussi, malgré soixante dix ans bien sonnés, une souplesse étonnante qui lui permet de faire sauter, danser et bouger le bouffon dans tous les sens sans jamais céder sans altération ni baisse de tension. Vocalement, c’est une leçon de chant grandeur nature que donne Leo Nucci dont la cabalette et l’air « Cortigiani, vil razza, dannata … Ah, ebben io piango… » est un immense triomphe; si la cabalette n’est pas bissée, le duo avec Gilda « Vendetta, si tremenda vendetta …  » l’est pour la plus grande joie d’un public conquis.

Jessica Pratt campe une Gilda juvénile et émouvante; dès le duo avec Rigoletto chez le bouffon, la soprano australienne se met au niveau de Nucci donnant la réplique au célèbre baryton italien avec une aisance et un naturel séduisants, assez réjouissants. Jamais en cours de soirée, Pratt ne se laisse dépasser par l’enjeu; le duo d’amour avec le faux étudiant qui suit et l’air « Gualtier Malde … Caro nome » confirment l’éclatante santé vocale d’une artiste qui fait siens, sans coup férir, les sentiments de Gilda pour les deux hommes de sa courte vie : son père chéri et cet « étudiant » qu’elle aime tant. Et même si Gilda meurt par amour pour le duc, jusqu’au bout elle évoquera ce père tant aimé alors qu’il est entouré d’un épais voile de mystère; et Jessica Pratt fait ressortir avec talent l’ambivalence de la jeune fille qui se laisse guider par l’amour jusqu’à son dernier souffle.

C’est le ténor Piero Petri qui prête ses traits et sa voix au duc de Mantoue; dès « Questa o quella » il donne le ton de la soirée malgré un semblant de mise en scène pour ce premier air, détail dont il se préoccupe d’ailleurs fort peu, dégageant d’emblée une morgue et une arrogance qui vont plutôt bien à un homme de pouvoir qui ne pense qu’à lui, n’aimant que ses plaisirs et toujours en quête de nouvelles conquêtes féminines tant à la cour qu’à la ville. Pretti se taille un succès considérable au dernier acte aussi bien avec « La donna è mobile » que dans le quatuor qui arrive immédiatement après « Bella figlia dell’amor », ensemble dans lequel la malheureuse Gilda réalise l’ampleur de la duperie du duc et à quel point il ne l’a jamais aimé.

A la croisée des chemins, Sparafucile est à la fois le dernier des quatre rôles principaux et le premier des rôles secondaires; pour ce personnage les responsables du Regio ont fait appel à un natif de Parme : Michele Pertusi. La voix sombre de la basse parmesane qui est à mi chemin de la basse et du baryton correspond assez bien au tueur à gage, cet ancien soldat bourguignon « reconverti ». Le Saprafucile de Pertusi est retors et impitoyable; payé par « il gobbo », le bouffon, il rejette avec indignation le plan de Maddalena qui lui suggère de tuer Rigoletto en lieu et place du duc, victime désigné du tueur à gages : « Mi paga quest’uomo, fedele m’avrà ». Cela ne l’empêche pas d’accepter de tuer la première personne qui frappera à la porte de l’auberge pour que Rigoletto ait à l’heure dite, minuit, un sac contenant le cadavre qu’il attend; le trio « Ah piu non ragiono… », dont la mise en scène, les décors et les lumières sont d’ailleurs parfaits, laisse voir le drame qui se joue, accentuant encore l’idée qu’il ne peut y avoir d’autre destin ni pour Gilda mourante ni pour son père fou de chagrin. A noter, dans les rôles secondaires la performance très honorable de Barbara di Castri (Maddalena). Si la voix de la jeune femme a parfois tendance à blanchir légèrement, elle tient crânement tête à Pretti puis à Pertusi dans les deux très beaux ensembles du dernier acte.

Dans la fosse, Daniel Oren, de retour après dix-sept années d’absence à Parme, dirige la Filarmonica Arturo Toscanini. Le chef israélien dont la gestuelle est parfois assez peu conventionnelle se montre précis, ferme et attentif à ne jamais couvrir solistes et choristes évoluant sur le plateau. Cependant, s’il ne peut éviter quelques fausses notes du côté des cuivres pendant le prélude, le chef prend un plaisir évident à diriger, manifestant son enthousiasme dès qu’il le peut. Le choeur d’hommes du Teatro Regio de Parme, remarquablement préparé par son chef Martino Faggiani, ne démérite absolument pas face aux prestigieux solistes; il prend sa part, largement méritée, du triomphe de cette première représentation.

Rigoletto, dont la première mise en scène date de 1993, reçoit un accueil triomphal. C’est une ambiance délectable trop rare en France; en cours de soirée, chaque aria et ensemble reçoit des applaudissements fournis. Aux saluts finaux, l’ensemble des artistes, à commencer par Nucci, sont ovationnés pendant dix longues minutes par un public debout qui lance à chacun « bravo », « brava » avec un enthousiasme sincère. Et malgré les imperfections inhérentes à toute première, cette soirée a lancé l’édition 2012 du festival Verdi à un très haut niveau de qualité.

Parme. Teatro Regio de Parme, le 1er octobre 2012. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Rigoletto; opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave d’après « Le roi s’amuse » de Victor Hugo. Léo Nucci, Rigoletto; Jessica Pratt, Gilda; Piero Petri, Duca di Mantova; Michele Pertusi, Sparafucile; Barbara di Castri, Maddalena; Alisa Dilecta, Giovanna; George Andguladze, Conte di Monterone; Valdis Jansons, Marullo; Patrizio Saudelli, Matteo Borsa; Alessandro Busi, Conte di Ceprano; Leonora Sofia, Contessa di Ceprano/paggio, Alessandro Bianchini, un usciere di corte; Filarmonica Arturo Tosacanini, choeur du Teatro Regio de Parme; Daniel Oren, direction. Elisabetta Brusa, mise en scène; Pier Luigi Samaritani, décors et costumes; Andrea Borelli, lumières.
Illustration: Leo Nucci (Rigoletto) et Pietro Peri (le duc de Mantoue) DR
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