Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le 29 mai 2012. Mozart: Così fan
tutte. Avec Camilla Tilling, Bernard Richter… Jérémie Rhorer, direction.
Erice Génovèse, mise en scène. Par notre envoyé spécial Raphaël Dor
Così fan tutte, malgré toutes les critiques dont son livret a pu faire l’objet, peut se révéler une œuvre très profonde. Diverses lectures sont possibles, de la fable moralisatrice au roman d’initiation, du comique de situation au drame de la désillusion. Pourtant, l’œuvre peut aussi rapidement sombrer dans un systématisme ridicule et superficiel lorsque le livret est interprété au pied de la lettre, sans le moindre recul.
Cette production du Théâtre des Champs-Elysées évite heureusement de nombreux écueils, sans pour autant présenter une cohérence totale entre les aspects musicaux et scéniques.
Les affres de la jeunesse
Le jeune chef Jérémie Rhorer exalte avec verve les beautés de la partition et la richesse de son écriture. Celui-ci fait clairement le choix d’une lecture très théâtrale, où le drame ne se fait jamais oublier, mais qui manque parfois de cette langueur qui fait la spécificité de Così. Son orchestre, Le Cercle de l’Harmonie, ne possède sans doute pas des bois aussi clairs et soyeux qu’on pourrait l’espérer – ce qui, chez Mozart et particulièrement dans cette œuvre, se révèle assez fâcheux. Il répond pourtant à chaque inflexion voulue par le chef et impose sa vivacité comme moteur de l’action.
Côté chanteurs, leur jeune âge et leur dynamisme assure la cohérence entre la fosse et la scène. Les quatre principaux personnages semblent de jeunes adultes encore naïfs et touchants, qui ne sombrent jamais dans la caricature.
Les deux sœurs ferraraises sont brillamment interprétées, mais peinent à se détacher tout à fait. Camilla Tilling, Fiordiligi élégante et distinguée, qui offre notamment un superbe « Per pietà » au deuxième acte, s’oppose naturellement à la Dorabella plus sombre et sensuelle de Michèle Losier. Mais tout cela semble justement trop naturel, presque convenu.
On attendait également une Despina plus pétillante et plus délurée de la part de Claire Debono, mais le rôle reste réjouissant et lui sied parfaitement.
Les hommes se démarqueront davantage, avec en premier lieu le Ferrando de Bernard Richter, excellente surprise. Non qu’on eût douté des talents du ténor (peut-on oublier son incroyable Atys ?) mais aborder ce répertoire peut se révéler périlleux. A coup sûr, la voix surprend, par sa clarté, son émission très en avant qui n’a rien d’italienne, ses quelques problèmes d’homogénéité ou d’aigus un peu tirés… mais le charme opère. Markus Werba, qui interprète son camarade Guglielmo, séduit quant à lui par un timbre rond et chaud, et aussi un jeu d’acteur à peine exagéré mais toujours réjouissant.
Le rôle d’Alfonso est depuis longtemps au répertoire de Pietro Spagnoli, mozartien reconnu, qui s’acquitte encore une fois de la tâche avec un grand bonheur.
Conflits de générations
La mise en scène d’Eric Génovèse n’est pas nouvelle : elle avait été créée en 2008 pour des représentations dirigées par Jean-Christophe Spinosi. Cela explique peut être les légers décalages entre la conception musicale et scénique. En effet, Eric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française, signe une mise en scène assez littérale, voire académique : décors aux tons pastels, costumes qui évoquent avec sobriété le XVIIIe siècle, toile de fond peinte avec des nuages, grand arbre en carton-pâte… Pourquoi pas, c’est joli. Mais même la direction d’acteurs promet au début le pire, avec opposition binaire des deux sœurs (l’une blonde, l’autre brune ; l’une en rose, l’autre en bleu…) aux personnalités assez fades. Bref, le sentiment d’un livret édulcoré au bord du nunuche. Heureusement la suite contredira cela par l’ajout de petits détails intéressants, comme les mains des quatre amants qui se mélangent dès le premier quintette. Bonne trouvaille également que le lever de décor lors du final, pour laisser apparaître les murs de briques du théâtre et les spots lumineux : fin du spectacle et fin des illusions pour les personnages qui partent tous, troublés, dans des directions opposées.
La direction d’acteurs manque donc un peu d’originalité et de spontanéité, mais préserve au moins une grande théâtralité. On ne s’ennuie pas un instant, et les décors mouvants offrent une variété de tableaux très agréable.
Voilà donc notre seul regret : une mise en scène qui travaillerait plus sur la jeunesse et la naïveté des protagonistes, pour correspondre parfaitement à l’interprétation de Jérémie Rohrer et du plateau vocal. Mais ces derniers livrent tout de même une performance exceptionnelle, sans faille, pour un moment de pure beauté.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le 29 mai 2012. Mozart: Così fan tutte (1790). Fiordiligi, Camilla Tilling ; Dorabella, Michèle Losier ; Ferrando, Bernard Richter ; Guglielmo, Markus Werba ; Despina, Claire Debono ; Don Alfonso, Pietro Spagnoli ; Le Cercle de l’Harmonie. Jérémie Rhorer, direction. Eric Génovèse, mise en scène.
Illustration: Jérémie Rhorer (DR)