Pour leur venue à Paris, les forces du Teatro Regio de Turin ont concocté un programme pour le moins surprenant, … et passionnant.
Les Quattro Pezzi sacri, dernières pièces composées par Verdi, sont une vraie rareté, bien peu données en concert. Créées le 7 avril 1888 à Paris – à l’exception de l’Ave Maria, écarté de la première exécution –, ces pièces offrent un condensé de l’art de Verdi, qui d’ailleurs mourra sans jamais les avoir entendues. L’Ave Maria et le Laudi alla Vergina Maria, composées pour chœur a cappella, se révèlent comme de petits bijoux, intimes et retenus, dans une ferveur palpable. Le Stabat Mater, ultime œuvre du compositeur qui ne l’a achevé qu’en 1897, convoque un large effectif orchestral et choral, avec de nombreux moments de suspension que viennent troubler des forte aussi soudains qu’impressionnants. Dissonances, syncopes, chromatismes, cette pièce nous montre un Verdi toujours plus moderne dans son écriture musicale, avançant avec son temps.
Achevant cette première partie, le Te Deum se rapproche du Stabat par la masse instrumentale et vocale qu’il exige, grande fresque religieuse s’achevant dans le recueillement grâce à un exquis solo pour soprano émergeant au-dessus des voix des choristes. Plein d’enthousiasme, se donnant tout entier, le Chœur du Teatro Regio fait montre d’une belle homogénéité et d’une grande précision, démontrant sa place de choix parmi les chœurs d’opéras en Italie. L’orchestre, emmené par un Gianandrea Noseda passionné, fait également admirer ses couleurs somptueuses, son sens des nuances.
L’entracte passé, vient la partie la plus attendue : les extraits des Vespri Siciliani dans leur version italienne. Après une ouverture flamboyante enthousiasmant le public, s’avance Michele Pertusi pour son air « O tu Palermo ». Dès les premières notes, il offre une véritable leçon de chant verdien. Si les graves manquent parfois d’ampleur, l’émission se révèle haute et claire, richement timbrée, permettant à la voix de sonner sans effort, avec des aigus puissants, et surtout un legato de grande école et un sens du phrasé comme on en avait plus entendus chez une basse depuis bien longtemps.
Dans sa scène « Giorno di pianto », Gregory Kunde déconcerte : parti d’un répertoire plutôt léger, il a su patienter, laisser sa voix mûrir sinon la plier à un répertoire plus lourd, et avec succès. On sent qu’il emploie une technique qui n’appartient qu’à lui, mais il triomphe avec brio de son air crucifiant, avec un grave sonore, un médium corsé et un aigu puissant, jusqu’à un suraigu en falsettone impressionnant, donnant ses notes avec une réelle vaillance qui emporte l’adhésion. La soirée va de surprises et révélations…
Après un chœur « Si celebri al fine » de belle facture, Sondra Radvanovsky fait son entrée avec le célébrissime et redoutable bolero « Mercé dilette amiche » dont elle se tire, elle aussi… avec les honneurs. Elle ne redoute rien, ni les vocalises, ni les trilles, et encore moins la tessiture exceptionnellement longue que réclame cet air, d’un grave poitriné avec art à un aigu large et ample.
Mais c’est dans les scènes suivantes qu’elle se révèle pleinement. Dans le duo « La brezza aleggia intorno », elle peut affronter, avec Gregory Kunde, un partenaire à sa dimension. Après avoir confirmé la finesse de sa voix mixte, elle déploie son immense instrument et fait littéralement vibrer la salle, emportant avec elle son partenaire qui, galvanisé par son chant généreux, se laisse lui aussi aller à toute la puissance de sa voix. Belle complicité de chanteurs, propice à ravir le public…
Michele Pertusi les rejoint pour la grande scène finale et leur trio, qui achève de soulever une salle déjà en délire. Tous rivalisent d’impact vocal et de vaillance, la soprano américaine se révélant sans rivale à ce jeu-là, emplissant tout le théâtre de son timbre capiteux au délicieux vibratello, une vraie grande voix comme on en fait peu aujourd’hui. Soutenus par un orchestre décidément en grande forme et un chef pleinement engagé, aimant passionnément cette musique et bien décidé à le faire … aimer, les trois solistes nous offrent un moment d’exception.
Ivre de plaisir, le public, littéralement exalté, réclame longuement et bruyamment un bis… qui lui est finalement accordé : rien moins qu’une reprise du même final. Théâtralisant avec humour leurs personnages et les situations exposées par la musique, les solistes s’en donnent à cœur joie et jettent toutes leurs forces dans cet ultime combat, dont ils ressortent vainqueurs, et avec brio. Un tour de force salué par une standing ovation à peine le dernier accord achevé, point culminant d’une soirée qu’on oubliera pas de sitôt.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 25 mai 2011. Giuseppe Verdi : Quattro pezzi sacri : Ave Maria, Stabat Mater, Laudi alla Vergine Maria, Te Deum ; I Vespri Siciliani, extraits : Sinfonia, « O tu Palermo, terra adorata », « Giorno di pianto, di fier dolor », Tarantelle du deuxième acte, « Si celebri al fine », « Mercé, dilette amiche », « La brezza aleggia intorno », Grande scène et terzetto final. Sondra Radvanovsky, Gregory Kunde, Michele Pertusi. Chœur du Teatro Regio di Torino. Chef de chœur : Claudio Fenoglio. Orcheste du Teatro Regio di Torino. Gianandrea Noseda, direction.