Créé en 1791, la même année que la Flûte Enchantée mozartienne, Lodoïska démontre avec quelle perfection le Florentin, installé à Paris trois ans auparavant, a fait sien les codes de l’opéra français. Pourtant, force est de constater dans cette musique une couleur toute italienne, notamment dans les finales, qui préfigurent déjà Rossini par le crescendo savamment étudié qui compose chacun d’entre eux. L’orchestration est très riche, d’une grande virtuosité, et d’une puissante efficacité dramatique, en somme de la très grande musique.
Redécouverte lyrique
« Comédie héroïque » en deux actes, cette œuvre narre la délivrance de la belle Lodoïska par son amant, le polonais Floreski, accompagné de son fidèle serviteur Varbel, des griffes de l’infâme Dourlinski, aidé dans ce sauvetage par le valeureux tartare Titzikan. Fidèle à la tradition en vogue à cette époque, l’ouvrage comporte, entre les parties chantées, des dialogues parlés, réduits ici malheureusement à leur strict minimum – alors que la distribution réunie pour ce concert n’est rien moins qu’entièrement francophone –, ces coupures rendant parfois l’intrigue peu aisée à comprendre.
Véritable rareté – il n’en existe qu’un seul enregistrement, dirigé par Riccardo Muti à la tête des forces de la Scala de Milan, avec la légendaire Mariella Devia dans le rôle-titre –, remercions donc le Théâtre des Champs-Elysées et le Centre de musique romantique française à Venise (Palazzetto Bru Zane) d’avoir offert au public parisien ce petit joyau de l’opéra français.
Fêtons en premier lieu la prestation de l’orchestre, le Cercle de l’Harmonie. Virtuose, incisif, déployant de belles couleurs tant dans le drame que dans l’intimité, il est incontestablement le grand triomphateur de la soirée. Tout au plus peut-on lui reprocher de jouer parfois trop fort, au risque de couvrir les chanteurs.
Dans le rôle-titre, Nathalie Manfrino déploie sa voix puissante, mais l’instrument semble fatigué, au fur et à mesure de la soirée, la chanteuse perd de son timbre, de sa projection et de sa stabilité. En travaillant davantage sur la fermeture des cordes vocales, la concentration du son et la finesse de la voix, elle pourrait sans doute économiser davantage ses imposants moyens et aller bien plus loin dans la caractérisation musicale.
Son amant, le téméraire prince Floreski, est incarné avec fougue et conviction guerrière par le jeune ténor français Sébastien Guèze. Son bel engagement dramatique ne peut faire oublier une technique des plus sommaires, où l’émission du son est davantage basée sur la force et la poussée que sur un véritable travail sur la résonance et le soutien. On devine derrière tant d’efforts une vraie musicalité, mais elle semble bridée et en pointillés, faute des armes techniques permettant de la réaliser pleinement. Une superbe voix, mais qui pourrait se révéler tellement plus belle avec une vraie technique pour la magnifier.
Varbel, le serviteur, pleutre et attendrissant comme le veut la tradition, trouve en Armando Noguera un interprète de choix. Le jeune baryton a parfaitement saisi son personnage, lui donne vie avec humour : l’interprète y fait valoir son beau timbre mordoré ainsi que sa finesse d’interprétation.
Dans le rôle du tartare Titzikan, le ténor Philippe Do peut faire étalage de sa technique accomplie, son sens des couleurs et l’arrogance de son registre aigu, émis avec une facilité déconcertante, traversant sans effort la salle.
Le cruel Dourlinski est croqué avec gourmandise par le baryton Pierre-Yves Pruvot, qui semble prendre un plaisir communicatif à incarner jusqu’à la parodie ce méchant, à la voix percutante et sonore et à l’impact dramatique fort.
En Altamar, sbire de l’infâme baron, Alain Buet déploie tout son métier et semble nouer avec son maître une complicité des plus réjouissantes, tandis que Hjördis Thébault incarne une nourrice pleine de caractère.
Félicitons également les trois membres du chœur, parfaitement efficaces et à leur place dans l’invraisemblable quintette qui unit leurs voix à celles de Floreski et Varbel, le chœur Les Eléments étant à saluer pour sa précision et son homogénéité.
Jérémie Roher conduit tout ce petit monde avec fougue et passion, jusqu’à un final ébouriffant concluant avec éclat cette redécouverte d’un chef-d’œuvre méconnu du grand Cherubini.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le 11 octobre 2010. Luigi Cherubini : Lodoïska. Avec Lodoïska : Nathalie Manfrino ; Floreski : Sébastien Guèze ; Varbel : Armando Noguera ; Titzikan : Philippe Do ; Dourlinski : Pierre-Yves Pruvot ; Altamar : Alain Buet ; Lysinka ; Hjördis Thébault ; Pierre Virly : Premier émissaire ; Antonio Guirao : Deuxième émissaire ; Cyrille Gautreau : Troisième émissaire. Chœurs de chambre Les Eléments ; Direction : Joël Suhubiette. Le Cercle de l’Harmonie. Jérémie Rorher, direction. Programme reprise à Venise à la Fenice, mercredi 13 octobre 2010 dans le cadre du Festival Luigi Cherubini et les premiers romantiques proposé par le Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane.