vendredi 20 juin 2025

Paris. Salle Pleyel, le 8 avril 2012. Johann Sebastian Bach: La Passion selon Saint Matthieu. Les Musiciens du Louvre. Marc Minkowski, direction

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Par notre envoyée spéciale, Monique Parmentier


La Passion selon Saint Matthieu, l’intime déchirement de la passion

Après la Messe en Si et la Passion selon Saint Jean, Marc Minkowski reprend son bâton de pèlerin et de nous présenter une version plus intériorisée, voire allégée de la Passion selon Saint Matthieu. Il souhaite ainsi nous faire partager sa vision de ses œuvres, tel un théâtre intime de la tragédie humaine. Parti pris étonnant: pour lui toutes les grandes œuvres chorales de Bach furent d’abord et avant tout destinées à des ensembles solistes.

Tradition du monde protestant, les Passions offrent à la semaine de Pâques, une occasion de rassemblement des croyants, favorisant la ferveur intime et pourtant commune à tous, par la grâce de la musique.
Picander a fourni à Jean – Sébastien Bach, un livret adapté de l’Evangile selon Saint Matthieu. Probablement créée le 11 avril 1727 à l’église Saint-Thomas de Leipzig, elle fut écrite dans le cadre de la Semaine Sainte, répondant à la mission du Cantor de présenter des œuvres de sa main tout au long de l’année dans les différents événements de l’année liturgique. La Saint-Mathieu est l’une des deux Passions (avec la Saint Jean) qui a survécu sur les cinq citées par son fils. Elle est surtout la plus spectaculaire, un des sommets de son œuvre qui requiert des moyens importants nécessitant trois chœurs et deux orchestres.

Le moins que l’on puisse dire est que la vision de Marc Minkowski réconforte et apaise: le chef parvient à nous faire vivre cet embrassement d’une foi qui porte et rassure face aux mystères de la nuit la plus profonde, celle du silence abyssal de la mort. Il renouvelle notre écoute, même si forcément sa proposition artistique ne peut que générer des débats. Cette œuvre très fréquemment jouée en concert depuis sa « résurrection » par Mendelssohn en 1829, se voit généralement proposée au public dans de très nombreuses salles pour Pâques, alors pourquoi ne pas se laisser tenter par cet autre regard ? Même si elle a pu paraître un peu légère en effectif pour Pleyel, l’acoustique de la salle n’a pas fait défaut pour autant à cette vision allégée. Il faut dire que contrairement à ce qui était annoncé, l’orchestre (le double orchestre) n’était pas réduit. 28 musiciens au total sont venus apporter un tissu sonore de choix aux 12 chanteurs répartis en trois choeurs. Marc Minkowski se saisit de la Passion selon Saint Matthieu pour nous en restituer son drame intime et si humain. Il fait de chacun de nous un acteur de l’ardente douleur de ce doute qui consume, de cette fatalité à devoir subir et accepter son destin.
Sa direction souple et ardente, creuse les nuances, varie les couleurs. Le violoncelle sombre et mystique s’oppose à la sensualité de la viole, tandis que basson, flûtes et hautbois (d’amour et di caccia) chantent l’amour le plus tendre et que les cordes fouettent avec virulence.
Le plateau vocal retenu mêle chanteurs très expérimentés, telle Nathalie Stutzmann qui nous offrent de beaux moments, et jeunes étoiles dont le nom aujourd’hui est synonyme de relève prometteuse, telle Eugénie Warnier qui se distingue dans son air « Ich will dir mein Herze schenken » (« Je veux t’offrir mon cœur »). Elle a apporté un instant de suprême beauté : son timbre d’une clarté rayonnante perce les cœurs et les ténèbres ; il élève les esprits.
La petite déception de la soirée vient en fait de l’ Evangéliste de Markus Brutscher, certes en voix, mais ne transfigurant pas le texte. Benoît Arnould dans les rôles de Juda et de Pilate, nous bouleverse toujours par son sens inné du pathétique. Sa souplesse vocale, lui permet de révéler les différentes facettes de ces deux personnages. Dans les rôles de Pierre et du Grand Prêtre, une autre basse splendide, Charles Dekeyser, nous impressionne. Christian Imler étant un Jesus si vrai tant par sa présence charismatique que par ses qualités vocales. Enfin Marita Solberg par son timbre charnu envoûte dans les airs qui lui sont dévolus et tout particulièrement dans « Aus Liebe, aus Liebe will mein… » (« Par amour mon sauveur veut mourir ») et l’alto Owen Willets embrasse avec spontanéité et exaltation son air « Könne Tränen meiner Wangen » (« Si ni mes plaintes ni mes larmes »).
Si certains chorals manquent d’ampleur il est vrai, cette vision allégée de la Saint Matthieu a enchanté ce dimanche de Pâques. Il faut reconnaître que Marc Minkowski sait s’entourer de très belles voix et obtenir des Musiciens du Louvre une des plus belles palette orchestrale qui soit.

Paris. Salle Pleyel, le 8 avril 2012. Johann Sebastian Bach (1685-1750). La Passion selon Saint Matthieu, BWV. 244. Choeur 1 : Marita Solberg, soprano ; Nathalie Stuzmann, alto ; Markus Brutscher, ténor (l’Evangéliste) ; Christian Immler, basse. Choeur 2 : Eugénie Warnier, soprano ; Owen Willets, alto ; Magnus Staveland, ténor. Benoît Arnould, basse. Ripieno : Jolanta Kowakska, soprano ; Mélodie Ruvio, alto ; Svetli Chaumien, ténor ; Charles Dekeyser, basse. Les Musiciens du Louvre. Direction : Marc Minkowski. Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale, Monique Parmentier.

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