mardi 29 avril 2025

Paris. Salle Pleyel, le 4 octobre 2011. Récital Juan Diego Florez, ténor. Vincenzo Scalera, piano

A lire aussi
Retour de Juan Diego Florez et Vincenzo Scalera à la Salle Pleyel dans la série Les Grandes Voix, ainsi qu’ils l’avaient fait voilà un an et demi. Le public s’est pressé en masse pour applaudir le ténor péruvien qui, fidèle à lui-même, reste invariablement grandiose technicien et sensible musicien. Voilà une soirée comme on aimerait en passer plus souvent, qui bannit toute crainte, allant d’éblouissement en enchantement, éclairant chaque pièce de la lumière du bel canto, du buon canto, celui qui manque cruellement aujourd’hui.

Triomphe du beau chant

Dès le premier morceau, le superbe et épuré « Per la gloria d’adorarvi » (Bononcini), idéal pour installer l’accroche de la voix et le legato, on est frappé par la perfection de la ligne de chant du chanteur, la variété de ses nuances, passant d’une strophe à l’autre d’un forte riche et sonore à un piano irisé. L’émission est haute et claire, les voyelles parfaitement définies – on pourrait prendre le texte sous la dictée tant chaque syllabe est ciselée – l’aigu arrogant et jamais surcouvert… L’habitude, en somme, avec Juan Diego Florez. Pareille évidence dans le Ciampi, tout aussi superbement rendu.

Avec Piccini et le rare air de Roland, les choses sérieuses commencent. La virtuosité se déploie avec sa précision coutumière, qui ne laisse pas d’estomaquer par sa précision et son aisance servie par un souffle très long, qui permet au ténor d’enchaîner les phrases sans respirer, et une vaillance jamais agressive ou forcée, toujours sur le souffle et le timbre, toute de brillance et d’impact.

Retour à l’intimité avec les trois mélodies extraites des Péchés de vieillesse de Rossini. Trois miniatures intimes et d’une grande finesse, une musique qui parle avec évidence à notre chanteur.

Nous étions intrigués par Il Crociato in Egitto, ouvrage peu connu de Meyerbeer, Florez démontre en un air la puissance de cette musique, alternant virtuosité, élégie et éclat sans sourciller, avec un naturel qui force l’admiration. Rien dans ce répertoire ne semble pouvoir lui résister.
L’entracte passé, place au répertoire romantique. Belle entrée en matière avec le Roméo de Gounod. La voix du ténor serait certes trop légère pour le rôle, mais que cette cavatine est bien chantée ! Le français est d’une perfection admirable pour un non-francophone – une autre de ses marques de fabrique –, le legato et les couleurs chatoient dans sa voix avec un plaisir non dissimulé, le rubato se déroule avec une liberté absolue, et l’aigu résonne triomphant, achevant l’air sur une demi-teinte à la fois flottante et bien timbrée, du très grand art.
Moins directement impressionnante mais tout aussi raffinée, son aubade du Roi d’Ys démontre elle aussi une belle science de l’aigu piano, ainsi que son incroyable sens de la langue française.

Musique française encore, avec Pâris de la Belle Hélène. Florez, ayant tout pour l’incarner à la perfection, tant son physique avenant que son timbre enjôleur, croque ce personnage avec humour et décontraction, sans jamais se départir de sa suprême élégance vocale.
Intermède espagnol avec quelques extraits de zarzuelas, ainsi que le chanteur aime à en parsemer ses récitals. Une musique toujours ensoleillée, charmeuse et parfumée, qu’il sculpte autant qu’un air de bel canto, lui offrant une noblesse insoupçonnée et donnant envie d’en découvrir davantage.

Pour clore ce concert d’anthologie, une rareté de Donizetti, Dom Sébastien, dont la pudeur et la mélancolie touchent et émeuvent dès l’introduction. La voix s’élève en un legato – comme toujours – parfait, une ligne d’une absolue régularité, sans affectation, simplement une sincérité de tous les instants servie par une technique d’un achèvement unique aujourd’hui.
Pourtant, la soirée est loin d’être terminée, l’assistance, en liesse, réclamant un bis. Ce sera Rita de Donzetti, plein de légèreté et d’insouciance, permettant plusieurs aigus frappants et mettant en valeur la lumière de l’instrument du chanteur.

Les spectateurs en demandent encore, leur champion s’exécute : « Una furtiva lagrima » extrait de l’Elisir d’amore. Rarement on aura entendu cet air phrasé avec autant de grandeur, une telle maîtrise du souffle et des lignes musicales, avec, en prime, un aigu inhabituel, qui surprend et éblouit, jusqu’à l’achèvement de la dernière phrase, comme un soupir.
Le public ne veut décidément plus s’en aller – nous non plus –. Comme une surprise, Juan Diego Florez entonne « Pour mon âme » de la Fille du Régiment et ses neufs contre-uts. Finir par pareille prouesse, bien peu de chanteurs en seraient capables. Et chaque aigu claque avec éclat, sans parler du dernier, arrogant et jouissif, pur plaisir pour tout le public. Ovation et fleurs pleuvent. Après un tel exploit, on ne peut plus que remercier un aussi bel artiste et le laisser partir, tant il a donné de lui-même et de son art. On en oublierait presque de saluer bien bas la prestation exceptionnelle de Vincenzo Scalera, qui se révèle une nouvelle fois comme le plus sûr des soutiens, suivant son chanteur de près, lui tendant les harmonies, véritable écrin et partenaire.
Une grande soirée, dont on se souviendra longtemps, qui confirme que Florez reste, tant par la technique que par la musique, le ténor le plus accompli de notre époque.

Paris. Salle Pleyel, le 4 octobre 2011. Giovanni Bononcini : Griselda, « Per la gloria d’adorarvi ». Vincenzo Ciampi : « Tre giorni son che Nina ». Niccolò Piccini : Roland, « En butte aux fureurs de l’orage ». Gioacchino Rossini : « L’esule », « La promessa », « Tiranna spagnola ». Giacomo Meyerbeer : Il Crociato in Egitto, « Popoli dell’Egitto ». Charles Gounod : Roméo et Juliette, « Ah, lève toi soleil ». Edouard Lalo : Le Roi d’Ys, « Vainement ma bien-aimée ». Jacques Offenbach : La Belle Hélène, « Au mont Ida ». José Padilla : « Princesita ». Joseph La Calle : « Amapola ». Reveriano Soutullo et Juan Vert : El ùltimo romántico, « Bella enamorada ». Gaetano Donizetti : Dom Sébastien, « Seul sur la terre ». Juan Diego Florez, ténor. Vincenzo Scalera, piano

Derniers articles

CRITIQUE opéra, OPÉRA GRAND AVIGNON, le 27 avril 2025. ZAÏDE [Mozart, Robin Melchior]. Mark van Arsdale, Aurélie Jarjaye, Andres Cascante, Kaëlig Boché… Orchestre National...

Saluons en ce dimanche après midi, à l'affiche de l'Opéra Grand Avignon, un spectacle réjouissant dont le double mérite...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img