jeudi 26 juin 2025

Paris. Salle Pleyel, le 29 mars 2010. Récital Juan-Diego Florez, ténor. Vincenzo Scalera, piano

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Vocalità en grâce…

Concert intime, simple duo chant-piano, loin de toute opération promotionnelle. De la musique existant pour elle-même, enfin ! Même l’immense Salle Pleyel a tamisé son éclairage pour l’occasion, comme dans un salon…, un salon aux dimensions impressionnantes, admettons-le, mais qui ne nuit en rien à la proximité de l’artiste avec son public, un public visiblement heureux de retrouver un chanteur qu’il porte dans son cœur avec ferveur, le célèbre ténor péruvien Juan-Diego Florez, soutenu au clavier par Vincenzo Scalera, accompagnateur des plus grands.
Le programme sort des sentiers battus et permet même de découvrir des musiques peu connues hors de leur pays, des mélodies somptueuses, romantiques et caressantes. L’exercice du récital accompagné reste pour le moins périlleux, aucun intermède musical ne permettant au ténor de reposer son instrument, d’où l’importance d’une technique vocale plus que solide.
Avec le délicieux air de Paolino extrait du Mariage Secret de Cimarosa, le chanteur, tout en chauffant sa voix en douceur, abat ce qui sera ses cartes maîtresses durant toute la durée du concert : un timbre somptueux, ensoleillé et enjôleur, une parfaite maîtrise de la ligne vocale et du souffle, un legato à l’archet au contrôle absolu, un aigu facile, haut placé et à la focalisation digne d’un laser, des vocalises précises et fluides, parfaitement sur le souffle, et, couronnement de toutes ces qualités, une musicalité et un sens des nuances d’une remarquable finesse. Il est vrai que les lignes délicates et sensibles déroulées par Cimarosa flattent particulièrement son instrument et lui permettent d’en faire miroiter les plus belles couleurs. Dans Orphée, Juan-Diego Florez fait valoir, outre un français digne d’éloges, les même qualités, chacun des deux airs flattant un aspect de sa voix, le premier la finesse et la retenue sensible, le second la virtuosité triomphante. Avec Rossini, le chanteur retrouve son compositeur de prédilection, celui qui semble avoir écrit pour sa voix. Les Péchés de vieillesse, ensemble de petites pièces écrites par le cygne de Pesaro alors qu’il vivait grand train à Paris – et qu’il avait presqu’entièrement cessé de composer –, bien peu données, se révèlent d’une grande finesse, dans un style très épuré, proche de celui de la mélodie française, avec bien naturellement des reflets de la vocalité italienne. Notre ténor y déploie le même art du phrasé, la même distinction et la même précision dans la diction. Le panache reprend ses droits avec l’air virtuose de Rodrigo, rival d’Otello, dont le chanteur ne fait qu’une bouchée, tant cette écriture vocale coule dans ses veines et permet à son extraordinaire technique de trouver son plein accomplissement. Vincenzo Scalera, cultivant au piano des sonorités rondes, enveloppantes, et sans dureté aucune, lui offre le plus sûr des soutiens, malgré une partie pianistique d’une difficulté ahurissante, puisque non écrite pour cet instrument et réduite à partir de l’orchestration originale.
L’entracte passé, le ténor péruvien nous emmène dans un dépaysant et coloré voyage en Espagne, afin de nous faire découvrir un répertoire dont la langue est sienne : la zarzuela, l’opéra-comique espagnol. Force est de constater que, hormis quelques couleurs mélodiques et harmoniques « hispanisantes », ces airs, pourtant écrits au début du XXe siècle, sont d’une qualité musicale digne de Donizetti et Bellini. Des cantilènes langoureuses à l’envol vocal savamment étudié, d’une grande sensibilité, sans affectation aucune, d’une tendresse amoureuse pure et sincère. Un univers dans lequel Juan-Diego Florez est audiblement chez lui et auquel il donne vie avec un plaisir communicatif. A quand des zarzuelas à Paris ?
Après ce périple, nous retrouvons le répertoire français, avec la Fille du Régiment de Donzetti, que le chanteur connaît mieux que bien. En effet, le rôle de Tonio, ce tyrolien simple à l’amour ardent, est l’un de ses chevaux de bataille, notamment le célébrissime air « Ah mes amis » et ses neuf contre-uts, prouesse qu’il a toujours accomplie avec aisance. Pourtant, ce n’est pas cet air-là qu’il interprète ce soir, mais la romance de Tonio. Les difficultés déployées par cette pièce sont d’une autre nature, mais non moins ardues à franchir : épure vocale, retenue, contrôle du souffle et de la dynamique, maîtrise du registre aigu piano, autant d’écueils dont l’artiste triomphe brillamment, et avec une vraie sensibilité à fleur de lèvres, celle des très grands.

… ou JDF, le prince du bel canto

Pour clore ce programme passionnant, place est faite à l’un des plus beaux airs du répertoire français du XVIIIe siècle, celui de Georges dans la Dame Blanche de Boieldieu, dans lequel le chanteur semble s’amuser follement, avec toujours la même facilité tant dans la ligne de chant épurée que dans la pyrotechnie. Cette esthétique vocale semble convenir à merveille à la vocalité de notre ténor, et c’est avec impatience que nous espérons qu’il s’emparera des rôles de Gérald et Nadir. Saluons une nouvelle fois bien bas la tenue de l’accompagnement de Vincenzo Scalera, exceptionnel musicien.
La salle est en liesse devant tant de splendeurs musicales. Avec sa décontraction habituelle, le ténor explique à son public que, pour raisons de santé, il ne pourra leur accorder qu’un seul et unique bis. Ce sera « Ange si pur », le magnifique air de Fernand extrait de la Favorite de Donizetti. Et c’est avec toujours la même absolue sûreté qu’il déroule la ligne satinée de cet air, petit bijou de raffinement et de pudeur vocale.

Car l’atout maître de Juan-Diego Florez, outre son charisme et son timbre somptueux, c’est sans conteste la perfection de sa technique vocale, l’une des plus accomplies de notre époque. Rarement il nous a été donné d’entendre un concert où chaque inflexion, de la première inspiration à la fin du dernier son, était aussi parfaitement maîtrisée, millimétrée aimerait-on écrire. Peu de spontanéité, il est vrai, mais un degré d’achèvement artistique comme on en entend peu, ce qui fait de lui l’un des seuls aujourd’hui à se révéler digne de son statut de divo. Du très grand art pour une véritable leçon de beau chant, de bel canto.

Paris. Salle Pleyel, 29 mars 2010. Domenico Cimarosa : Il Matrimonio Segreto, « Pria che spunti in ciel l’aurora ». Christoph Willibald von Gluck : Orphée et Eurydice, « J’ai perdu mon Eurydice », « L’espoir renaît dans mon âme ». Gioacchino Rossini : Péchés de vieillesse, La lontananza, le Sylvain ; Otello, « Che ascolto ? « . Reveriano Soutullo et Juan Vert : El ùltimo romántico, « Bella enamorada ». José Serrano : La alegría del batallón, Canción guajira. Amadeu Vives : Doña Francisquita, « Por el humo se sabe donde está el fuego ». José Serrano : El trust de los tenorios, « Te quiero, morena ». Gaetano Donizetti : La Fille du Régiment, « Pour me rapprocher de Marie ». François Adrien Boieldieu : La Dame Blanche, « Viens, gentille dame ». Juan-Diego Florez, ténor. Vincenzo Scalera, piano

Illustration: Juan Diego Florez (DR)

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