lundi 28 avril 2025

Paris, Salle Pleyel, le 1er mai 2012. Debussy, Szymanowski, Scriabine… Christian Tetzlaff, violon ; London Symphony Orchestra. Peter Eötvös, direction

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compte rendu critique

concert Paris, Salle Pleyel, Szymanowski

par notre envoyé spécial Raphaël Dor

Le projet avait été initié par Pierre Boulez : une tournée de concerts avec le London Symphony Orchestra mettant à l’honneur le compositeur Karol Szymanowski (1882-1937). Deux de ses plus belles œuvres, le premier concerto pour violon et la symphonie n°3 « Chant de la nuit », devaient être associées à des pièces plus célèbres datant de la même période, composées par Debussy, Bartók, Scriabine. Hélas trop méconnu, le polonais Karol Szymanowski est au confluent de styles divers : d’abord séduit par le post-romantisme straussien, puis découvrant Debussy et Stravinski, il finira par s’intéresser au folklore d’Europe centrale, tout cela en préservant un style personnel très marqué. La richesse et le raffinement harmonique sont chez lui toujours privilégiés, dans des œuvres au caractère souvent énigmatique et flou. Pierre Boulez ayant été annoncé souffrant, c’est son homologue hongrois Peter Eötvös, lui aussi compositeur, qui a assuré la direction du London Symphony Orchestra.


La séduction des harmonies

Les Nocturnes de Debussy, davantage évocations poétiques que réels tableaux, ouvrent un programme savamment pensé. Leur subtilité, la brume de leurs contours baigne immédiatement le spectateur de cette ambiance si particulière du début du XXe siècle. Debussy suspend les harmonies tonales, explore la modalité et pousse plus loin ses recherches de la polyrythmie. Sous une apparente dissolution de la forme, il construit ses trois Nocturnes avec beaucoup de précision : Nuages, tout d’abord, aux sonorités énigmatiques, superbement portées par les cordes soyeuses du LSO ; puis Fêtes et son cortège qui semble se rapprocher, son orchestre et notamment ses cuivres brillants auquel Peter Eötvös insuffle une énergie rare ; et finalement les langoureuses Sirènes chantées par les pupitres féminins du London Symphony Chorus, lesquels manquent un peu de chaleur et peinent à se mêler aux ondes dessinées par l’orchestre.

Vient alors le Concerto pour violon n°1 de Szymanowski, composé en 1916 durant ce que l’on appelle sa deuxième période, très influencée par… Debussy. La cohérence stylistique est donc parfaite, mais Szymanowski conservera un langage empreint de modalité et de polytonalité encore plus riche et plus dense. Le concerto débute par des sonorités ambigües aux bois avant que le violon n’entre dans l’aigu, où il reste durant la majeure partie de l’œuvre, comme flottant au dessus d’une trame orchestrale mouvante et miroitante. Le discours s’intensifie à mesure pour laisser place à certains élans plus mélodiques. Alors que le Concerto ne possède qu’un seul long mouvement, Szymanowski conserve la tradition d’une cadence pour le violoniste, avant d’entamer ce qui ressemblerait presque à une réexposition. A la modernité du langage s’opposent les espèces de ruines d’un classicisme formel.

Peter Eötvös parvient à garder, dans cette partition touffue, une grande lisibilité orchestrale, un équilibre entre les pupitres; il met en valeur couleurs, textures et contrastes de la musique. Le violoniste Christian Tetzlaff n’est peut être pas avantagé par une partie de soliste peu brillante et peu expressive, mais dépasse haut la main toutes les difficultés des différents modes de jeu (sur le chevalet, harmoniques, doubles cordes etc.).

Point culminant de la soirée, le bien nommé Poème de l’extase de Scriabine s’inscrivait parfaitement dans cette progression voulue entre les œuvres : après la peinture subtile, le discours construit, enfin le jaillissement paroxysmique. Peter Eötvös fait figure d’orfèvre, alliant à la précision et à la clarté de son orchestre, un incroyable dynamisme. Chaque nuance est parfaitement dosée, chaque articulation finement exécutée, si bien que le crescendo se fait implacable sans que jamais la tension ne rechute. Les vagues successives de la partition débouchent alors sur un accord brillant de do majeur, où l’orchestre fait éclater tous ses timbres, avec grand renfort de percussions. C’est l’extase.
Saluons la grande intelligence d’un programme de toute beauté; son interprétation réalise la rare alchimie de la subtilité et de la puissance.

Paris, Salle Pleyel, le 1er mai 2012. Debussy, Nocturnes ; Szymanowski, Concerto pour violon n°1 ; Scriabine, Poème de l’extase. Christian Tetzlaff, violon ; London Symphony Orchestra. Peter Eötvös, direction.

Illustration: Karol Szymanowski (DR)
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