Venue du Theâtre de Bâle, cette Grande-Duchesse de Gérolstein, était fort attendue, en raison de la présence dans le rôle-titre de la cantatrice suédoise Anne-Sophie von Otter, dont c’était une prise de rôle importante au sein du répertoire de Jacques Offenbach. Vécue dans l’écrin créé pour elle par le metteur en scène allemand Christoph Marthaler, cette représentation serait sans doute apparue plus personnelle et plus vivante. Force est de constater qu’ici, privée de son fil conducteur scénique et légèrement mise en espace en costumes, elle décolle peu. Le programme – fort succinct, un feuillet seulement – nous annonce que dans l’univers de Marthaler, les personnages n’existent plus, mais que vivent « des âmes ». Pourtant, une fois les premières notes égrenées, que voyons-nous ? Un simple soldat, un général, un baron, un prince et… une grande-duchesse. Rien de bien révolutionnaire, si ce n’est une légère modernisation des costumes, qui passe presque inaperçue.
Le premier acte, joué dans son intégralité, est mené tambour battant, chacun chantant de tout son cœur et prenant plaisir à dérouler les mélodies brillantes du compositeur. Dans les second et troisième actes, il en va tout autrement. Joués bien différemment à Bâle où, dans la conception de Marthaler, ils sont accompagnés au piano – l’orchestre, symbolisant les soldats, étant mort à la guerre dont revient Fritz – et se voient gratifiés d’ajouts de mélodies de Haendel, Wagner et Brahms, à Paris, ces deux actes font brutalement retomber la tension dramatique de la soirée. Les chanteurs ont cette fois leur partition devant eux et la lisent avidement, visiblement peu sûrs de leurs parties. La partition est ici grandement tronquée, toute la scène du triomphe de Fritz ainsi que son air ayant été coupés. On comprend mieux la mention « extraits » figurant sur le programme. Les quelques dialogues ayant été conservés sont déclamés en allemand, au grand dam d’une très forte majorité du public non-germanophone, les textes de liaisons étant lus avec humour par le chef lui-même, Hervé Niquet, déguisé en officier militaire, la participation de Julie Depardieu semblant avoir fait défaut.
Musicalement, il est difficile de juger réellement la prestation des solistes, tant leurs voix, au demeurant assez petites, semblent noyées dans l’acoustique de la Salle Pleyel et souvent couvertes par l’orchestre. Le baron Puck de Karl-Heinz Brandt et le prince Paul de Rolf Romei font figure de bons troupier, au métier sûr, mais sans rayonnement et sans éclat. Christoph Homberger, l’un des comédiens préférés de Marthaler, dévore littéralement le personnage du général Boum, sans grande finesse mais avec crédibilité, sa voix de ténor lui conférant une couleur inhabituelle. Trio de conspirateurs en situation, mais parfois bien mous, notamment dans leur scène de complot, prise par ailleurs dans un tempo bien trop lent.
Agata Wilewska fait bénéficier la discrète Wanda de sa voix puissante et bien projetée, la seule qu’on entende vraiment.
Fritz bien pâle, Norman Reinhardt fait admirer son physique avantageux, mais l’instrument est fort limité et porte peu, et l’on doit bien souvent tendre l’oreille pour saisir quelque chose de ses interventions.
Reste celle sans qui le déplacement de toute l’équipe de la Suisse à la France n’aurait probablement pas eu lieu : Anne-Sophie von Otter. Comme toujours, le personnage est bien croqué, mais plus proche de la riche bourgeoise que de la souveraine noble et fière, et la caractérisation manque de personnalité. Vocalement, la voix n’est pas bien grande, et, comme celle de ces partenaires, se projette peu dans la salle. Seul le registre aigu acquiert une richesse sonore, le médium sonnant décoloré, et le grave semblant n’avoir ni appui ni corps, un comble pour une mezzo-soprano. Une duchesse agréable, mais très loin des portraits autrement plus convaincants de Felicity Lott et surtout de notre « lionne » Régine Crespin.
Saluons tout de même la diction française digne d’éloge de l’ensemble de la troupe.
Le chœur, réduit à une dizaine de chanteurs, sonne pourtant avec franchise et vigueur.
Grand triomphateur de la soirée, le Kammerorchester Basel déploie toutes ses couleurs et ses parfums, brillant sans clinquant, énergique et vivant sans nervosité. A sa tête, Hervé Niquet transmet son plaisir à diriger cette partition délicieuse, la musique enivrante du petit Mozart des Champs-Elysées faisant le reste, véritable éclat de rire lyrique.
Au final, un concert plaisant pour une Grande-Duchesse agréable, mais qui manquait tout de même de… panache, comme le dirait si bien le Général Boum.
Paris. Salle Pleyel, 11 janvier 2010. Jacques Offenbach : La Grande-Duchesse de Gérolstein. Avec La Grande-Duchesse : Anne-Sophie von Otter ; Fritz : Norman Reinhardt ; Wanda : Agata Wilewska ; Général Boum : Christoph Homberger ; Prince Paul : Rolf Romei ; Baron Puck : Karl-Heinz Brandt ; Theaterchor Basel. Kammerorchester Basel. Hervé Niquet, direction
Illustration: Anne-Sofie von Otter © M.Backer