lundi 23 juin 2025

Paris. Opéra-Comique, le 19 mars 2010. André-Ernest-Modeste Grétry : L’Amant Jaloux. Jérémie Rhorer, direction. Pierre-Emmanuel Rousseau, mise en scène

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L’Amant Jaloux, voilà bien un titre qui, à sa seule lecture, évoque les intrigues de Molière et Marivaux, celles du théâtre du XVIIIe siècle. Car, dans ce superbe ouvrage de Grétry, nous sommes à plein dans ce courant-là.
C’est autour de cette œuvre, trop méconnue de nos jours mais grand succès en son temps, et création préférée de son compositeur, que l’Opéra-Comique a choisi de faire vivre son festival Grétry.
Recréé au sein de l’Opéra Royal de Versailles – là même où il a vu le jour le 20 novembre 1778 –, cet Amant Jaloux est présenté au public parisien dans le cadre intimiste de la salle Favart, écrin idéal pour ce répertoire.
Jonction entre Rameau et Gluck, l’écriture musicale de Grétry fait irrésistiblement penser à celle de Mozart, alors que c’est bien le second qui a été inspiré par le premier. Les lignes orchestrales tourbillonnent, virevoltent, et les élans vocaux se déroulent dans une grâce et une élégance toutes françaises… Autant d’ingrédients condensés en une heure trente, et, au final, ce qui peut être considéré comme le modèle parfait de l’opéra-comique, dont les canons seront encore utilisés bien des années plus tard.

On peut légitimement saluer le talent dramatique de Grétry et de son librettiste anglais, Thomas d’Hèle, dont le livret est pourtant exquis dans l’emploi des mots de notre langue –, qui sont parvenus à construire une action dramatique et musicale qui jamais ne s’essouffle, sans temps ni répit, toujours en mouvement, une course perpétuelle à l’amour et la vengeance, nourrie de quiproquos et de joyeuses confusions.
Fille de Lopez, qui veut la garder sous son toit depuis son récent veuvage afin de profiter de sa fortune, la belle Léonore a pour prétendant Don Alonze, frère de son amie Isabelle. Cette dernière, dont la vie vient d’être sauvée par Florival, un chevalier aux nobles manières – français, bien évidemment –, accourt, suivie par son sauveteur. Le chevalier demande à Jacinte, la malicieuse servante, le nom de celle qu’il imagine étant sa maîtresse. Et la camériste, dans la confusion, donne le nom de Léonore. Apprenant qu’une Léonore est aimée par ce freluquet de chevalier, Don Alonze, comme il est de tradition, devient l’amant jaloux. Ainsi s’élève le tourbillon du drame, qui ne s’apaisera qu’une fois les identités révélées et les cœurs rassérénés, dans une réconciliation générale couronnée par un feu d’artifice scintillant d’or, apothéose pour une sérénité enfin retrouvée.

… ou le modèle du marivaudage à l’opéra

La production de Pierre-Emmanuel Rousseau n’appelle que des éloges. D’un classicisme parfait pour cette œuvre, elle tire parti de toutes les ressources techniques d’un théâtre de machineries, notamment des toiles peintes, belles et d’un réalisme saisissant. Simplement un régal pour les yeux. Les costumes suivent la même esthétique, aux couleurs parfois acidulées, mais toujours dans l’esprit du siècle des Lumières, d’une grande élégance.
Les dialogues parlés, nombreux, sont tous dits avec une diction « moderne », ce qui rend l’intrigue plus proche.
Léonore de feu et de sang, Magali Léger en impose par son magnétisme scénique et la beauté de sa voix. Son grand air du deuxième acte, extrêmement virtuose, est assumé avec panache, et sa prestation emporte l’adhésion. Sa comparse, la belle Isabelle, trouve en Daphné Touchais une interprète de choix, à la ligne de chant d’une rare élégance et au legato merveilleusement déployé.
Maryline Fallot, quant à elle, semble s’amuser follement dans son rôle de soubrette intrigante, faisant valoir ses couleurs sombres et son impertinence scénique. Le père, Lopez, se voit servi avec conviction et aplomb par Vincent Billier, débordant de verve et plein de l’autorité d’un barbon faussement dupe.
Mais c’est du duel de ténors qu’on retirera le plus de satisfaction : malgré son accent anglais, Brad Cooper incarne à merveille le rageur Don Alonze, toujours consumé par sa jalousie obsessionnelle. Le timbre est incisif, les aigus percutants, et la caractérisation du personnage fort crédible.
Son rival, le délicat Florival, vit avec une inestimable grâce dans la voix suave et d’une enchanteresse finesse du ténor canadien Frédéric Antoun, au timbre délicieux et à la voix mixte d’une rare maîtrise. Sa sérénade, morceau d’anthologie, susurrée à fleur de lèvres, est un pur ravissement, suspendant le temps dans son vol. Une véritable révélation, qu’on espère revoir en ces lieux dans d’autres rôles de ténor demi-caractère, un emploi qui semble lui aller à ravir.
A l’unisson de cette comédie jouissive, le Cercle de l’Harmonie virevelote, nerveux et incisif, dans un équilibre parfait entre élégance et flamboyance, emmené avec fougue et passion par un Jérémie Rhorer plein du plaisir de faire renaître aux oreilles d’un public en fête, ce chef-d’œuvre du début du classicisme musical français.

Paris. Opéra-Comique, 19 mars 2010. André-Ernest-Modeste Grétry : L’Amant Jaloux. Livret de Thomas d’Hèle. Avec Léonore : Magali Léger ; Isabelle : Daphné Touchais ; Jacinte : Maryline Fallot ; Florival : Frédéric Antoun ; Don Alonze : Brad Cooper ; Don Lopez : Vincent Billier. Le Cercle de l’Harmonie. Jérémie Rhorer, direction ; Mise en scène : Pierre Emmanuel Rousseau. Décors : Thibaut Welchlin ; Costumes : Pierre-Emmanuel Rousseau et Claude Crauland ; Lumières : Gilles Gentner ; Création maquillage et coiffure : Laure Talazac ; Assistant musical : Atsushi Sakaï ; Assistante à la mise en scène : Charlotte Rousseau ; Chef de chant : Christophe Manien ; Diction française : Caroline Gautier

Illustration: Grétry (DR)

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