mardi 29 avril 2025

Paris. Opéra-Comique, le 18 mars 2010. André-Ernest-Modeste Grétry : Zémire et Azor. Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati, direction artistique. Alexandra Rübner, mise en scène

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La Belle et la Bête en Orient

Qui ne connaît l’illustre conte de Perrault, cette histoire où une jeune Belle, tenue captive par une Bête repoussante, finit par deviner le prince sensible et tendre caché sous la toison du monstre, et par s’en éprendre, prouvant que la vraie beauté n’est pas celle de l’apparence, mais celle nichée au fond du coeur ?
André-Ernest-Modeste Grétry, compositeur favori de Marie-Antoinette, à qui l’Opéra-Comique consacre un festival – selon les habitudes de programmation de la maison –, a préféré transporter le récit, avec la complicité de son librettiste Jean-François Marmontel, dans un Orient imaginaire, où la Belle prend le doux prénom de Zémire, et la Bête, celui de Azor.
Bien peu représentée, cette pièce pourrait se décrire comme une pièce de théâtre mêlée d’ariettes – ainsi que Grétry définit son Amant Jaloux –, à la comédie douce-amère et aux lignes charmantes, élégantes, dans un classicisme tout français. Les dialogues parlés sont ici déclamés, chacun usant du « r » roulé, dans une esthétique nous transportant dans le passé, comme en songe.
La vision scénique qu’en propose Alexandra Rübner se révèle épurée, jouant avec quatre panneaux mobiles à l’envi, le fond de scène étant recouvert de bougies comme autant de petits flambeaux, créant immédiatement une atmosphère d’onirisme et de rêve. Point de coulisses ici, les interprètes demeurant assis, dans l’ombre du fond de scène, visibles par tous, lorsqu’ils n’interviennent pas dans l’action. Les costumes, fantasques et bariolés, notamment ceux des deux sœurs, véritables mégères caquetantes de fatuité, soulignent parfaitement la fantaisie de l’histoire qui s’anime sous nos yeux.
Seules les projections vidéo, à l’image tremblante, déçoivent quelque peu et se révèlent facilement dispensables, la magie du spectacle opérant sans elles.
L’équipe de solistes réunie ici se montre tout à fait à la hauteur de sa tache, et parfois même bien plus que cela. Arnaud Marzorati incarne avec crédibilité un Sander, père de Zémire, tendre et aimant, jouant bien des nuances de sa belle voix de baryton-basse, sonore et bien timbrée. Ali, son serviteur, digne d’Arlequin, dans la lignée des valets de Molière, pleutre, apeuré, et pourtant d’une exquise sensibilité, est croqué avec délice par un Jean-François Novelli en grande forme, à la voix de ténor légère et malicieuse, et doué d’une présence scénique irrésistible. Dans le rôle tourmenté et délicat de l’infortuné Azor, David Ghilardi, déjà applaudi récemment dans un autre rôle de prince, celui de Saphir dans le Barbe-Bleue d’Offenbach donné à Massy, semble trouver un emploi idéal pour son lumineux instrument de ténor, à l’émission haute et aux demi-teintes raffinées. La scène de sa mort, le voyant emprisonné dans sa douleur par les quatre panneaux refermés sur lui, lui donne l’occasion de mettre en valeur ses talents de styliste et son élégante diction, digne de la grande école française de chant.
Nous retrouvons également avec un immense plaisir la fraîcheur délicate de Camille Poul, dont nous avions apprécié le concert à l’Eglise des Billettes consacré aux cantates italiennes de l’époque baroque. Cette jeune chanteuse semble décidément promise à un bel avenir, tant le timbre est beau, cristallin et adamantin, la technique remarquable d’aisance, lançant vocalises et aigus avec une égale facilité, toujours au service d’une intense musicalité, sensible et pudique. Une merveilleuse Zémire, qui retrouve son prénom originel de Belle.
Dans la fosse, saluons la prestation haute en couleurs des Lunaisiens, mais regrettons leur effectif très réduit qui, s’il était davantage étoffé, donnerait à cette musique plus encore de lustre et d’impact. Voici un bel hommage rendu à une œuvre trop rare, à sa magique beauté pourtant si évidente.

Paris. Opéra-Comique, 18 mars 2010. André-Ernest-Modeste Grétry : Zémire et Azor. Livret de Jean-François Marmontel. Avec Zémire : Camille Poul ; Azor : David Ghilardi ; Sander : Arnaud Marzorati ; Ali : Jean-François Novelli ; Lisbé : Eléonore Lemaire ; Fatmé : Alice Glaie ; Les Cariatides : Alexandra Rübner, Héloïse Labrande, Judith le Blanc. Ensemble Lunaisiens. Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati, direction artistique ; Mise en scène : Alexandra Rübner. Scénographie, costumes et accessoires : Héloïse Labrande ; Lumières : Nathalie Perrier ; Maquillages, perruques, coiffures : Silène Tonello ; Régisseur et vidéo : Laure Andurand ; Assistante à la mise en scène : Judith le Blanc ; Assistante et réalisation costumes : Clémentine Chevalier

Illustration: Grétry

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