mercredi 7 mai 2025

Paris. Opéra Bastille, le 17 octobre 2011. Wagner: Tannhaüser. Christopher Ventris, Nina Stemme, Stéphane Degout… Mark Elder, direction. Robert Carsen, mise en scène

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Quelle distribution pour cette reprise du Tannhaüser version Carsen (créé en 2007 sous la direction luxueuse alors… de Seiji Ozawa) ! Si la mise en scène est élégantissime (tendant à cette froideur desincarnée) comme à l’habitude selon la sensibilité du metteur en scène canadien, le plateau vocal 2011 rétablit la portée passionnelle, maudite, viscérale de l’action, l’impuissance des protagonistes, leur solitude douloureuse: Wagner brosse sous les traits de Tannhaüser, son propre portrait en artiste déchu, ivre de salut, meurtri par la culpabilité, en constante expiation…il a trop vécu dans les plaisirs pour ne pas chercher désormais à se racheter par les épreuves et la douleur: il faut donc des tripes, du sang, de la sueur pour exprimer cette souffrance qui s’offre aux spectateurs tout au long du spectacle.


Perfection vocale

Christopher Ventris, ténor britannique qui chante aussi Parsifal et Lohengrin éblouit littéralement dans le rôle-titre: la voix est lumineuse, portée par des aigus jamais tirés ni tendus, affirmant sans stridences, une âme déchirée, insatisfaite, au désir toujours inassouvi. Même s’il est déchu du Vénusberg, puis exilé par ses frères, le chanteur pénitent trouve la grâce in fine à Rome (superbe récit de Rome). Sensibilité, mesure, rayonnante musicalité: le soliste convainc sans réserve.

Même enthousiasme total pour le sextuor viril auquel se confronte Tannhaüser, devenu chez les mortels, Heinrich; se détachent en particulier le ténor percutant et timbré de Stanislas de Barbeyrac (Walther), – déjà remarqué dans Salomé-; et remarquable de galbe tendu, de tension cuivrée, le baryton Stéphane Degout, diseur et mélodiste si nuancé dont le Wolfram captive par sa noblesse racée, son style impétueux et une romance céleste dont l’Etoile est portée jusqu’au firmament vocal; pour le baryton français, la prise de rôle est mémorable!

Dans la fosse, dès l’ouverture aux spasmes orgiaques, Sir Mark Elder pèche par retenue et puritanisme; son geste mou, peine à trouver ses marques, détaille beaucoup et manque souvent de souffle, en particulier dans le troisième acte où le vent du salut se profile enfin pour le chantre déchu. Mais, reconnaissons à sa baguette une attention suave qui laisse les vagues somptueuses (les cors annonciateurs du IIè acte de Tristan) se déverser, ce qui rend perceptibles la puissante volupté de Vénus dont le poète pourtant comblé voire repu va se défaire. L’excès scrupuleux du chef se montre bénéfique cependant dans le rapport orchestre / voix; quant à la très forte caractérisation des instruments solistes dont évidemment la harpe, lyre décuplée soutenant (avec quelle somptuosité), Tannhaüser, mais aussi Wolfram dans ses deux airs si tendres et lyriques.

Wagnérienne accomplie, et même Elisabeth confirmée, Nina Stemme déploie un chant puissant et sûr, pourtant moins immédiatement accompli et expressif que son partenaire masculin: revoir l ‘homme qu’elle aime dont elle admire l’art, appelle un surcroit dramatique, une jubilation ardente… Hélas absente dans son premier air qui ouvre le II. Pourtant d’autorité morale, la soprano qui chante Isolde et Brunnhilde, ne manque pas, par la suite, quand elle prend la défense de l’aimé, rudoyé par ses pairs qui l’exhortent à expier sa faute par le pèlerinage. Reste que la mise en scène ne rend pas justice à cette amoureuse généreuse offrant jusqu’à sa vie pour le salut du poète: la diva pourtant lumineuse parait bien tassée dans cet imper chichiteux et sa robe… d’écolière.

Mais tout n’est pas si factice sur la scène : le rapport primordial Tannhauser / Vénus, dont Carsen fait la relation du peintre et de sa muse modèle … reste l’unique grande idée du spectacle. L’identification du chantre ténor avec la figure du peintre renforce l’enjeu de l’opéra wagnérien qui concerne le métier de l’artiste et la finalité de son art. Faire de Vénus (irréprochable Sophie Koch), l’égérie du plasticien resserre la très forte influence qu’exerce l’empire du désir sur le créateur. A la croisée des chemins, vice ou vertu, Tannhaüser choisit entre amour sensuel et amour platonicien. Le propos gagne ici en clarté.

Pour le reste, ces corps virils tachés du rouge sang, couleur de la faute, s’agitant et se roulant à terre, les grands coups de pinceau qui semblent taillader la toile par un Tannhauser devenu peintre délirant ne font pas la réussite du Vénusberg. La musique vaut ici tous les écarts scéniques et, se suffisant à elle-même, les rend définitivement creux. Nous parlions de clarté : l’intelligence de Carsen n’aura pas durer le temps de pénitence de l’artiste: il assimile tout bonnement en fin d’action Vénus et Elisabeth, de sorte que l’antithèse structurante de toute la partition se trouve ni plus ni moins trahie. Factice, décalée ? La mise en scène de Carsen a passe les étapes au risque du contresens: elle est devenue totalement artificielle. Heureusement les solistes dont nous avons souligné l’engagement voire la subtilité, savent rétablir la vérité du drame Wagnérien.

Traversant le fond des gradins pour atteindre la scène, singeant selon un pseudo concept éculé, l’avidité des cocktailisants se jetant, coupe de champ à la main, sur les petits fours …, les chœurs maison confirment leur indiscutable santé, et vocale et dramatique. Leur prestance est admirable.

Paris. Opéra Bastille, le 17 octobre 2011. Wagner: Tannhaüser. Christopher Ventris (Tannhaüser), Nina Stemme (Elisabeth), Stéphane Degout (Wolfram), Sophie Koch (Vénus), Stanislas de Barbeyrac (Walther)… Choeurs et orchestre de l’Opéra National de Paris. Mark Elder, direction. Robert Carsen, mise en scène.

Production à voir absolument. 4 dates à venir (réservations encore ouvertes sur le site de l’Opéra national de Paris: les 20, 23, 26 et 29 octobre 2011).

Illustration: Christopher Ventris (DR)
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