samedi 5 juillet 2025

Paris. Notre-Dame, le 24 mars 2009. Félix Mendelssohn: Elias. Ensemble Orchestral de Paris. John Nelson, direction

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Maître de l’oratorio


Elias peut être considéré comme le testament sacré de Mendelssohn: composé à la fin de sa trop courte carrière, l’oratorio devait même occupé la place centrale d’un triptyque religieux, constitué de Paulus, Elias donc, et Christus (demeuré malheureusement inachevé). La trilogie mendelssohnienne est un univers à elle seule, une cosmogonie du sacré qui s’impose à chaque écoute.
Sous la voûte de Notre Dame de Paris, l’orchestre situé derrière le porche occidentale, non devant l’autel (car il faut aussi bien placé l’effectif des choeurs omniprésents), démontre ses qualités propres: légèreté, transparence, clarté étagée, sans que le désir de lisibilité des pupitres ne sacrifie la tension et le nerf dramatique. Sous la conduite de son chef honoraire (après l’avoir dirigé 10 années), John Nelson, l’Ensemble Orchestral de Paris retrouve la cadre des grandes oeuvres religieuses, que défend avec une ardeur continue et infaillible le maestro. Oeil vif, gestuelle précise et déterminée, le chef conduit les instrumentiste et surtout le choeur avec un tact communicatif, une autorité qui allie précision et rebonds, réussissant à restituer cet écoulement limpide et fluide de la texture mendelssohnienne et aussi son génie des ensembles, à la fois dramatiques et palpitants. Jamais l’ampleur des effectifs ne corrompt le flexibilité de l’expression.


Oratorio ultime


En choisissant Elias
, Mendelssohn aborde l’Ancien Testament et l’une des figures les plus exclamatives et contrastées des prophètes: le protagoniste (chanté par un baryton basse) proclame un seul Dieu contre la couardise passive du peuple d’Israël qui assoiffé et affamé, n’hésite pas aussi à honorer le dieux Baal. D’ailleurs propre au sens des métaphores de l’époque romantique, la soif qui terrasse cette nation oublieuse et ingrate, versatile et capricieuse, est bien d’ordre spirituelle: seul la foi qui irradie (et embrase au sens strict) Elie peut tous les sauver, et les abreuver d’une conscience neuve, salvatrice, édifiante.
A la mesure du Prophète, silhouette expressionniste, qui touche par sa profondeur humaine, qui réalise aussi plusieurs miracles, auquel Dieu, précédé par tremblement de terre et tempête, paraît dans toute sa grandeur, l’orchestre dépeint paysages et tableaux dignes d’une fresque monumentale, mais sans le kitch hollywoodien souvent de mise ou le pathos larmoyant. Aux côtés d’Elie, Mendelssohn offre aux autres membres du quatuor vocal, des rôles tout autant dramatiques, brefs mais incandescents: la mère du fils miraculé (soprano), Jézabel (mezzo), haineuse, toute dédiée à abattre le Prophète, Abdias (ténor), d’une superbe ardeur orante… (son intervention préparant au tableau du Prophète exténué, abattu, faisant retraite, « sous le genêt dans le désert », est l’un des passages les plus poétiques de la partition…).

Le compositeur n’oublie aucun effet ni réussite lyrique appris de ses prédécesseurs, prestigieux auteurs dans le genre de l’oratorio: créé en Angleterre (à Birmingham, 1846, puis Londres en 1847), Elias (chanté donc en anglais), se devait d’honorer les mannes de… Haendel et de Haydn. On oublie souvent qu’aux côtés de Bach, Mendelssohn a aussi agi pour la redécouverte de Haendel. Mendelssohn paraît donc à l’égal de Haendel et Haydn au nombre des compositeurs géniaux qui ont apporté de superbes réalisations dans le genre de l’oratorio, alors pour chacun, au regard de leur vie terrestre, accomplissement du style, maturité ultime de l’écriture et de la pensée musicale.


Véritable opéra sacré


Saluons la force et le tempérament du choeur, d’où se détache selon l’action (intervention des anges réconfortants), plusieurs solistes d’une constante justesse (dont la soprano Aurore Bucher que nous avions déjà remarquée dans l’oratorio de Hasse, Pietro & Maddalena de Hasse, festival d’Ambronay 2008).
La tenue des solistes est indiscutable en particulier la soprano Lisa Milne, et le ténor à la diction impeccable, berliozien sur la scène parisienne, Paul Groves, qui n’usurpe pas sa réputation. Seule réserve, Rod Gilfry dans le rôle-titre, dont l’aigu déchiré sans tenue affecte tous les airs, même si dans la deuxième partie, quand Elias doute, renonce, l’interprète (n°26: « It is enough! O Lord, now, take away my life… »: C’en est assez! Seigneur, reprends mon âme! ») au style plus assuré, ne manque pas d’intensité ni même de vérité: le modèle des lamentos baroques de Purcell à Haendel n’est pas si loin.
Au demeurant, le portrait psychologique de chaque intervenant démontre le génie dramatique de Mendelssohn. Elias est un véritable opéra sacré où l’orchestre foisonnant, à l’activité permanente, le style des solistes, l’embrasement du choeur compose une fresque proche du sublime. L’apparition de Dieu dans un murmure ténu, après la résonance du fracas des éléments en explosion (silence mémorable sous la voûte de Notre-Dame qui compose ainsi un formidable effet de théâtre), le duo d’Elie et de l’enfant, le miracle du fils mort (ressuscité), enfin le quatuor final sont des instants d’une rare intensité. Superbe performance qui rend hommage à une partition immense toujours si peu donnée, trop injustement mésestimée.


Paris. Notre-Dame, le 24 mars 2009. Félix Mendelssohn: Elias

(1845-1846). Lisa Milne, soprano. Marie-Claude Chappuis, mezzo-soprano (finalement remplacée), Paul Groves, ténor. Rod Gilfry, baryton-basse.
Maîtrise Notre-Dame de Paris.
Lionel Sow, direction. Choeurs de l’Armée française,
Aurore Tillac, direction. Ensemble Orchestral de Paris. John Nelson, directeur musical honoraire

Illustrations: John Nelson, Félix Mendelssohn (DR)

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