mercredi 7 mai 2025

Paris. Musée d’Orsay. Un salon de musique française: Fauré, Chausson, Schmitt, Poulenc… Les Solistes de Lyon-Bernard Tétu

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Salon superlatif

Superbe programme qui souligne combien la fascination des maîtres anciens a fécondé la libre invention des auteurs modernes, comme par exemple Niedermeyer (dont Fauré fréquenta l’école) lorsqu’il compose son Confirma hoc, dans l’estime et l’admiration des compositeurs de la Renaissance, en particulier Vittoria (qu’il place un cran au dessus de Palestrina… grâce à cette maîtrise du ton de prière, de recueillement intense et sensible). Une telle délicatesse d’inspiration et de style se retrouve dans deux superbes pièces de Fauré: La Passion (partition inédite de 1890) et surtout le Madrigal opus 35 (1883) auxquelles les Solistes de Lyon apportent leur fusion articulée. En plus d’une musicalité naturelle, chaque chanteur sait écouter l’autre, et pourtant affirmer son individualité, souligner l’activité structurante du verbe. En ce sens, la présence dramatique des voix graves (Philippe Cantor dans Guignolot d’Saint Lazat ou Le R’venant vivant de Maurice Emmanuel, ou Jacques Bona dans La Complainte de Notre-dame de Maurice Emmanuel, et Priez pour paix que signe Francis Poulenc en 1938) montre combien les interprètes sont des pointures qui ont l’expérience de la scène. Sous la direction de Bernard Tétu, le chant se fait geste.

Les chanteurs trouvent un autre complice indiscutable en Cédric Tiberghien, pianiste d’une vive sensibilité, dont l’autorité digitale, le sens affûté des contrastes de dynamiques, l’implication apportée à chaque pièce en solo (Masques de Debussy, Nocturne n°1 de Fauré), montrent qu’il n’a rien perdu de son éloquente maîtrise depuis 1998, quand il remportait le Premier Prix du Concours Marguerite Long. Ses Cloches à travers les feuilles (Images, série 2, 1907) suscitent le rêve et la traversée qui sous les doigts du pianiste, sont l’expression d’un intimité libérée et épanouie qui parlent comme peint Monet sur le sujet des Nymphéas: en couleurs, à la fois vives et coulantes, en touches et fractions syncopées qui retiennent pourtant l’unité.

Admirable de fluidité, le jeu ne sacrifie rien à l’expression. Tout est dit avec précision et énergie. Deux qualités qui s’entendent tout autant dans les voix. Ces passages divers, admirablement modulés soulignent l’intelligence du programme qui met au devant de la scène, l’invention des auteurs français de la fin du XIX ème au début du XXème, période féconde qui précipite l’essor des styles et des caractères mêlés. Impressionisme, Symbolisme, réalisme, naturalisme, et même intérêt pour les dialectes et nuances des langues régionales…, autant de sensibilités et de climats dans lesquels les Solistes de Lyon affichent une sûre maîtrise, en prenant appui en particulier sur l’articulation du français.

Poulenc dévoilé

La seconde partie de la soirée
fait ressortir d’autres passionnants volets, atmosphères endormies, proches du songe chez Chausson, ample lamento collectif à la façon d’un choeur tragique chez Poulenc. Les mélodies d’Ernest Chausson (La Nuit, Le Réveil) font entendre le caractère des voix féminines et leur fusion envoûtante (pour les deux premières), trouvant des alliances davantage fusionnées, dans le somptueux quatuor du Chant funèbre de 1897, où les quatre voix s’émancipent en une ample et profonde déploration sépulcrale (d’après Shakespeare). Le dernier cycle élargit encore l’horizon de ce programme original, tout en dévoilant un Poulenc méconnu et saisissant: Sécheresses (1937), d’après les poèmes de Edward James. Le choeur s’enfle et vibre ici au diapason d’une terrible douleur qui se fait énergie et détermination: au gel d’hiver succède les lichens fumeux d’un village incendié, à l’appel sans écho d’un coeur solitaire (« je suis sans vous » du Faux souvenir), répond en un acte final, en une vision dernière, océane (Le Squelette de la mer), où les chanteurs évoquent le ressac maritime qui lave et dévoile les blessures secrètes, avec âpreté et franchise : (« J’ai attendu trop longtemps la vie qui ne vient pas/la vie de l’autre que je n’ai pas trouvé »...). Sublime expression de la maturité, entre amertume et clairvoyance, résignation et lucidité. Le travail de Bernard Tétu et de ses Solistes accomplit une performance superlative, en s’appuyant sur l’architecture du mot, trouvant dans la matière poétique, ses couleurs, son rythme, ses aspérités vivantes, sa palette d’images et de climats mouvants, le ton juste. Comme un choeur tragique, inspiré par une houle expressive nettoyée de toute emphase, les interprètes s’unissent en un corps halluciné, qui fulmine, invective, suggère, se désespère, fait couler et le sang et la vie. L’implication est totale, d’autant que le piano de Tiberghien apporte l’enveloppe et la réponse digne d’un orchestre, qui sait garder en dépit des fulgurances d’une partition terrassée comme le texte, par la polychromie vertigineuses des images, le sens de la mesure et de l’équilibre. Magistral.

Le programme donné en écho à l’exposition Alexandre Charpentier du Musée d’Orsay, sera repris à Québec à l’été 2008 dans le cadre des célébrations du 400 ème anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Diffusion sur France Musique, le 7 mars 2008 à 10h.

Paris. Musée d’Orsay, Salle des fêtes. Mardi 5 février 2007. Un salon de musique française. Mélodies profanes et sacrées de Maurice Emmanuel (1862-1938), Gabriel Fauré (1845-1924), Claude Debussy (1862-1918), Florent Schmitt (1870-1958), Francis Poulenc (1899-1963), Louis Niedermeyer (1802-1861), Edmond de Polignac (1834-1901) et Ernest Chausson (1855-1899). Pièces pour piano de Claude Debussy et Gabriel Fauré. Cédric Tiberghien, piano. Les Solistes de Lyon. Bernard Tétu, direction.

Illustrations
(1 ) Bernard Tétu © V. Dargent
(2) Cédric Tiberghien (DR)
(3) Francis Poulenc (DR)

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