Compte rendu de la Journée d’étude sur la Polytonalité organisée à l’initiative de Philippe Malhaire, directeur de la revue Euterpe.
Organisée et présidée par Philippe Malhaire, la journée d’études Polytonalités tenue en Sorbonne le mercredi 9 février 2011 fut un franc succès, tant sur le fond que sur la forme. Le programme très complet de cette journée offrit au public un panorama exceptionnellement riche d’enseignements sur une forme d’écriture musicale relativement méconnue.
Philippe Malhaire débuta cette vaste réflexion en posant le cadre théorique et historique de la polytonalité, proposant une nouvelle terminologie et révélant les premières pièces polytonales de l’Histoire, avant d’exposer une approche analytique inédite mise en démonstration avec un fragment de l’Adagio du Concerto en sol majeur de Ravel.
Pour compléter les fondements théoriques de cette journée, Marc Rigaudière s’est penché sur la manière d’appréhender la polytonalité dans la théorisation nord-américaine, les auteurs préférant l’analyser au travers du prisme de la théorisation formelle dure comme celle de la pitch-set class theory ou préférant y voir, à tort ou à raison, une manifestation de l’octotonisme.
Grégoire Caux s’est interrogé sur le procédé de verticalisation de strates indépendantes dans l’œuvre du dernier Liszt (Nuages gris, Teleki, Ossa arida), ce dernier s’engageant dans une voie expérimentale préfigurant indiscutablement la polytonalité qui allait émerger à la toute fin du XIXe siècle.
Toujours du côté des compositeurs, Max Noubel proposa une étude des différents aspects polytonaux dans l’œuvre de Charles Ives, formidable précurseur qui fut l’un des premiers à intégrer la polytonalité en tant que matériau structurel dans ses œuvres. Une inclination vraisemblablement due à l’initiative de son père qui, durant l’enfance du jeune Charles, invitait toute la famille à pratiquer la polytonalité de façon ludique dans des pièces d’ensemble où chaque membre jouait dans un ton différent.
Une des premières formes d’écriture polytonale tient en la configuration même du piano, des compositeurs comme Villa-Lobos, Szymanowski et Ginastera prenant un malin plaisir à baser certaines de leurs œuvres sur l’opposition entre touches blanches et touches noires. Mathias Roger analysa le « mirage polytonal » qui résultait de cette conception ludique.
Les polémiques concernant la présence de polytonalité dans l’œuvre de Stravinsky sont nombreuses. Jean-Michel Court démontra grâce à un argumentaire solide qu’il s’agit bien d’un mythe, d’ailleurs alimenté par le compositeur lui-même, mais ne résistant pas à l’analyse.
Damien Top permit à l’assistance de découvrir les techniques compositionnelles spécifiques du compositeur Emile Goué et plus particulièrement la simultanéité chromatique, développement ultime de la polymodalité sur une même fondamentale. On retiendra particulièrement l’étrange beauté générée par cette forme d’écriture dans le deuxième mouvement de sa Sonate pour piano.
La séance avait pour particularité de s’ouvrir à différents genres musicaux : c’est ainsi que Jérôme Rossi s’ingénia à cataloguer les ressources expressives de la polytonalité dans la musique de films au travers de l’œuvre de John Williams, révélant qu’il l’emploie de manière extrêmement basique dans la conception technique mais ô combien efficace pour figurer musicalement la dualité des sentiments des personnages.
Ludovic Florin s’est interrogé sur la présence de polytonalité dans le jazz : si ce genre musical a globalement délaissé cette forme d’écriture, certains jazzmen comme Marc Copland l’ont malgré tout intégré à leur langage, les distinguant singulièrement de leurs confrères. Une analyse extrêmement précise de certaines improvisations de Copland dévoila les ressorts de sa conception de la polytonalité jazzistique.
Pour terminer cette journée définitivement très complète, Franck Jedrzejewski a élargi le spectre analytique en distinguant trois catégories d’écriture au sein de constructions dites « polytonales » : la polytonalité, la pertonalité et la métatonalité.
Reste désormais à attendre la publication des actes de cette très belle journée, prévue chez L’Harmattan sous la direction de Philippe Malhaire. A n’en pas douter, l’ouvrage deviendra une référence en la matière dans le monde de la musicologie.
Compte rendu réalisé par Bruno Guillard