Malhaire
Musique française
La pianiste Diane Andersen et le ténor Damien Top
proposent un récital de musique française dont le programme parcourt le
XXe siècle, présentant un panorama teinté d’exotisme sur des thèmes
allant des rituels de la Grèce antique à la chanson traditionnelle de la
Douce France en passant par l’Inde et l’Orient. La diversité de la
sélection offre de savoureuses passerelles entre les œuvres, entre les
compositeurs eux-mêmes.
En ouverture, ce sont d’abord quelques Odes anacréontiques d’Albert
Roussel. Style authentique et particulier à l’harmonie aussi bien
raffinée que mordante, audaces rythmiques très perceptibles dans la
première Ode: Andersen et Top placent immédiatement la barre très haut,
avec une conviction complice qui s’avère convaincante.
Comme Roussel, Jacques Charpentier fait le voyage en Inde qui
influencera autant l’homme que le créateur. Ses Etudes karnatiques pour
piano en témoignent: débutées en 1957, elles constituent une réflexion colossale sur
les 72 modes karnatiques, échelles de base de la musique traditionnelle
indienne. La pianiste prend ses marques dans une musique pour le moins
moins aride où l’influence de Messiaen (dont Charpentier fut l’élève)
est perceptible, brillant notamment par la parfaite restitution du
caractère très percussif des pièces.
Une autre élève de Messiaen : Pierrette Mari qui devait succéder à
Charpentier. Le duo interprète les Esquisses de 1953 sous l’œil
attentif de la compositrice, présente dans l’auditoire. Composée sur des
poèmes de La Flûte de Jade traduits par Franz Toussaint, la partition de
Mari convoque une Perse lointaine et mythique, présentant à son tour sa
vision d’un Orient presque candide mais toujours envoûtant, aidé en
cela par des interprètes inspirés, quoique parfois, en manque d’expressivité.
Diane Andersen joue ensuite Thème et variations (1945) pour piano
d’Emile Goué, compositeur dont la redécouverte suit son cours, ce
dont on ne peut que se réjouir après l’audition d’une œuvre d’une telle
qualité, d’un point de vue aussi bien technique qu’expressif. Le
compositeur y élabore ses variations autour de la réharmonisation à
chaque fois plus audacieuse du thème et par le renouvellement des
formules d’accompagnements. Le jeu de Diane Andersen se montre magistral
dans l’exécution de cette musique transcendante : on attend avec
impatience la sortie de son prochain cd consacré à l’œuvre pour piano de
Goué.
Harry Cox, pianiste et compositeur d’origine néerlandaise relativement
méconnu, fut un proche d’Henri Sauguet, de Maurice Carême et de nombreux
artistes de son époque. Cox a choisi de mettre en musique trois poèmes
d’Andrée Brunin, poétesse française dont les textes ont une allure
d’improvisation toujours musicale se prêtant naturellement à la mélodie.
Brunin a été mise en musique, entre autres, par Isabelle Aboulker,
Suzanne Joly, Wally Karveno, Max Pinchard et Damien Top… son fils.
Parfaitement accompagné par une Diane Andersen équilibrant
merveilleusement son piano à la voix du ténor, ce dernier comprend
les Trois Chansons de Cox, d’une simplicité touchante, délicate et
mesurée: Damien Top privilégie clarté et élégance, articulation et
expressivité, soulignant la brièveté des Chansons qui les rend d’autant
plus attachantes.
Le ténor chante La Couronne et la Lyre, rassemblant des textes de
divers auteurs grecs traduits par Marguerite Yourcenar, autre écrivain
du Nord comme Andrée Brunin. Il en a composé la musique. Le compositeur
chanteur y use d’un langage volontairement simplifié, de clusters et de
résonances harmoniques afin de transporter l’auditeur dans un rituel
étrange de la Grèce antique. Damien Top crée une atmosphère presque
délétère tout à fait saisissante qui impressionne fortement l’auditoire,
bien qu’étonnamment ce ne soient pas dans ses propres œuvres qu’il se
trouve vocalement le plus à son aise !
Grand Prix de Rome en 1913, Claude Delvincourt est un compositeur dont
l’œuvre hautement inspirée n’admet pas la médiocrité, un fait
particulièrement évident dans Prélude, Berceuse et Danse pour rire,
extraits des Cinq pièces pour le piano (1923): le jeu clair et sobre
de Diane Andersen en relève toute la singularité troublante. La
prédilection de Delvincourt pour la chanson populaire et le Moyen-Age se
retrouve dans ses Chansons de la ville et des champs (1933), composées
d’après des airs populaires du XVIIIe siècle. Deux de ces chansons
charmantes et harmoniques innovantes se distinguent, projetées par l’interprétation toute en finesse de Damien Top,
très à l’aise dans la verve des mélodies enjouées exposant des textes
parfois polissons, finissant ainsi ce concert dans la légèreté et la
bonne humeur.
La conviction sincère et profonde, la complicité des deux artistes
servent un programme original dont les oeuvres dévoilées manifestent les
richesses des auteurs français du XXème siècle (et du XXIème).
Paris. Espace Bernanos (9è ardt). Le 21 mai 2010. Concert de
musique française du XXe siècle. Albert Roussel: Odes anacréontiques
op.31 (Leconte de Lisle). Damien Top: La Couronne et la Lyre (Marguerite
Yourcenar). Jacques Charpentier: 3 Etudes karnatiques. Pierrette
Mari: Esquisses (Franz Toussaint). Emile Goué: Thème et
Variations op. 47. Harry Cox : 3 Chansons (Andrée Brunin). Claude
Delvincourt: 3 Pièces pour le piano. Prélude, Berceuse et Danse pour
rire. Claude Delvincourt: 2 Chansons de la ville et des champs,
L’enlèvement en mer, C’est un p’tit ramoneur. Diane Andersen,
piano. Damien Top, ténor. Mise en ligne: Adrien De Vries. Compte
rendu rédigé par Philippe Malhaire
