vendredi 16 mai 2025

Paris. Cinéma Gaumont Marignan, le 25 juin 2009. Bizet: Carmen. Antonacci, Andrews, Gillet. Gardiner, direction. En direct de l’Opéra Comique

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Carmen d’époque

L’amour passionnel sur la scène lyrique fait toujours recette: le théâtre des amants ne cesse d’attirer les foules. Alors que Tristan und Isolde de Wagner (1865) vient de triompher en France, dans la production légendaire d’Olivier Py (enfin créée dans l’Hexogane en mai et juin 2009, après avoir connu ses premières à Genève en 2005), voici Carmen qui fait les beaux soirs (à guichets fermés) de l’Opéra Comique (jusqu’au 30 juin).
Entre Wagner et Bizet, deux conceptions s’opposent (que releva avec un sens de la polémique Frédéric Nietzsche, préférant en un revirement célèbre, la latinité africaine de Carmen…).
Si Tristan und Isolde vivent l’amour le plus fusionnel et le plus spirituel qui soit, Carmen impose sa rayonnante et sauvage plasticité: la cigarière chante avec son corps et José, amant éconduit doit tuer ce corps lascif et provocant, d’une volonté ardente insupportable. Il est jaloux, elle est libre.
Saluons donc le nouveau dispositif qui nous permet ce 25 juin 2009, d’applaudir une production convaincante en tous points, dans les salles de cinéma (à Paris, à la Géode et au Gaumont Marignan, au bas des Champs Elysées), quand il est devenu impossible de la voir à l’Opéra Comique qui affiche complet jusqu’à sa dernière!

Jouer Carmen dans la salle où l’oeuvre a été créée en 1875 permet de restituer le caractère intimiste d’une partition qui dans le monde, au travers des adaptations multiples dans les salles de plus en plus grandes, est plus hurlée que chantée. C’est un retour inespéré du théâtre à l’opéra auquel nous assistons; remercions le chef Gardiner de respecter l’ouvrage dans ses airs et ses dialogues parlés, dont une bonne partie est ainsi « remontée ». Travail de chanteur autant que de comédien, chaque rôle est ainsi proposé dans sa « volumétrie  » d’origine ce qui nous offre une conception radicalement différente de celle que nous connaissions: plus immédiate, plus concrète, plus sauvage et incandescente par ses situations scéniques humaines et vraisemblables…
Le direct retransmis au cinéma, depuis l’Opéra Comique, souligne la présence des chanteurs: plans serrés sur les visages, mais aussi place des micros très près des acteurs: tout cela apporte un surcroît de réalisme d’autant plus délectable s’agissant d’un oeuvre qui s’inscrit dans le courant naturaliste d’un Zola. Sur grand écran, le chant décuple son impact, et quand la distribution regroupe des acteurs chanteurs saisissants de vérité … ou de subtilité, la réalisation approche l’excellence.

Dans la fosse, le britannique francophile Sir John Eliot Gardiner redouble de nervosité sanguine, insufflant à la partition des tempis fouettés, d’une arrogance communicative; sur instruments d’époque, la phalange fait briller la richesse de l’orchestration: on regrette parfois la tension âpre des cordes qui manquent de tendresse et de souple lyrisme, mais le détail ciselé des timbres (qui fait merveille par exemple dans la danse des Bohémiennes qui ouvre l’acte II, chez Lillas Pastia) captive de bout en bout. Le geste sait écouter et respecter les subtilités de la partition avec un travail de fonds sur la dynamique, en particulier des pianos et pianissimos que l’on avait oubliés depuis fort longtemps. Anglosaxonne, la production (mise en scène par Adrian Noble: efficace avec quelques idées pertinentes mais pas inoubliable) révèle ses limites, en particulier dans les choeurs (Monteverdi Choir) à l’articulation aléatoire en particulier dans les tempi accélérés (le respect du rythme se réalise au détriment de l’abattage articulé).

Le premier duo Micaëla/José fait entendre les qualités d’Anne-Catherine Gillet et de l’américain Andrew Richards: travail sur la justesse et la pureté du phrasé, soin de l’articulation et de l’émission: l’approche chambriste éclate ici avec délectation. Si parfois le livret d’après Mérimée offre quelques niaiseries, le goût et le style de très bon niveau des deux protagonistes s’avèrent payant: jeu serré et un peu rétro, Anne-Catherine Gillet (qui n’a pas sa natte blonde comme il est indiqué dans le texte) incarne une jeune navarraise lisse mais appliquée; Andrew Davis réussit dans une langue qui l’oblige à de multiples contorsions musicales, mais le sens du texte est bien là; la musicalité aussi, en particulier dans l’air de la fleur, posée sans afféterie ni boursouflures sur le souffle de la voix parfaitement timbrée.

La diction Antonacci


Coeur palpitant d’une production en révélations multiples, la soprano Anna Caterina Antonacci malgré sa voix mâture, s’impose sans réserve par le style de l’extraordinaire diseuse: articulation experte, jeu plus stylé et élégant que latin et sauvage: sa Carmen n’a rien de vulgaire ni d’outrageusement provocant. C’est une femme libre qui désire, se donne entière et passionnée, mais reprend ses billes si l’homme ne sait la contenter. Leur amour est en décalage: la cigarière offre tout sans sourciller quand José tergiverse, entre l’amour et le devoir, le désir et la voix de sa mère… La Habanera comme la Séguédille sont magnifiquement interprétées, avec naturel et féminité, sans les inévitables oeillades et espagnolades que les cantatrices vedettes aiment ajouter au texte.

Malgré les petites ruptures du signal qui endommagent la captation dans sa continuité (un violent orage s’est abbatu sur Paris pendant la captation), saluons l’expérience du direct opéra au cinéma. La salle du Gaumont Marignan a été aménagée spécialement pour la diffusion live. Ne manquez surtout pas la prochaine saison lyrique dans ce principe, à présent plébiscité, dont la saison 2009-2010 en direct du Metropolitan de New York (dès le 10 octobre 2009 avec Tosca de Puccini: Karita Mattila sous la direction de James Levine…). Renseignements: www.cielecran.com et www.cinemasgaumont.com. Diffusion de Carmen de Bizet avec Anna Caterina Antonacci, en direct sur France Musique, le 30 juin à 20 heures.

Paris. Cinéma Gaumont Marignan, le 25 juin 2009. Bizet: Carmen. En direct de l’Opéra Comique. Anna Caterina Antonacci, (Carmen) Richard Andrews (José), Anne-Catherine Gillet (Micaëlla). Monteverdi Choir, Orchestre révolutionnaire et romantique. John Eliot Gardiner, direction. Adrian Noble, mise en scène.

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