Dernière représentation pour ce Barbier au Châtelet, et une excellente surprise, un spectacle rossinien de superbe facture, tourbillonnant, sans temps mort et sans vulgarité, et servi par de jeunes interprètes remarquables musiciens et techniciens.
Barbier tourbillonnant
Les chorégraphies flamenco imaginées par Nuria Castejon tout au long de la première partie se déroulant dans les rues de Séville, avouons-le, ne servent à rien sinon à meubler une action qui n’en a pas besoin. Au contraire, toute cette agitation dansée ne fait que détourner l’attention de la musique, quand elle ne la trouble pas carrément à grands coups de talons – en rythme ou non –. Un rappel de l’origine espagnole de l’histoire du Barbier n’est pas en soi une mauvaise idée, mais fallait-il l’évoquer de façon aussi lourde et envahissante ?
Car le travail musical opéré par Jean-Christophe Spinosi est remarquable.
Sa présence dans la fosse, ainsi que celle de son Ensemble Matheus et ses instruments anciens, nous faisait craindre le pire, les ensembles baroques ayant bien souvent montré leur inadéquation au répertoire belcantiste.
Même si le choix d’un diapason à 415 – soit un demi-ton plus bas que d’ordinaire, ce qui change les tonalités et les couleurs, et modifie sans doute les habitudes des chanteurs – est discutable et demande un temps d’adaptation, force est de constater que d’énormes progrès ont été faits. Le son de l’orchestre s’est arrondi, exit la sécheresse à laquelle on pouvait s’attendre, et la nervosité des attaques a disparu. Le chef élabore avec intelligence son discours musical, les crescendi sont parfaitement construits, tout décalage est évité et tous les instruments sont d’une grande précision. Seules les percussions sont utilisées avec trop de force lorsqu’elles sont sollicitées, donnant alors à la musique un aspect forain masquant la finesse de l’écriture de Rossini. Quelques tempi sonnent encore trop rapides dans le début de certains airs, mais les chanteurs sont couvés et suivis de près. Une belle surprise.
L’équipe réunie ici est jeune mais d’un étonnant accomplissement technique et scénique.
Bogdan Mihai, jeune ténor roumain, pourtant annoncé souffrant à l’entracte, impressionne en Almaviva. La voix sonne très légère et l’intonation parfois maniérée, mais le musicien touche par sa sensibilité et le technicien sidère par une agilité fulgurante, parfois presque trop rapide dans les airs plus langoureux. A ce titre, son rondo final « Cessa di più resistere » laisse pantois par sa facilité et sa précision. Ajoutons à cela un physique de jeune premier, au maintien noble et fier, et de réels dons d’acteurs, qui éclatent dans une composition hilarante en maître de musique niais et révérencieux. A suivre, assurément.
Sa promise, la charmante Rosine, trouve une interprète de choix en la jolie franco-britannique Anna Stéphany. Son timbre de mezzo est beau, corsé, même si la place est un rien basse et l’émission manque de clarté, frôlant par instants le grossissement. La technicienne est habile et vocalise avec aisance, les notes graves se révélant remarquablement timbrées malgré le diapason utilisé qui ne lui facilite pas la tâche. La comédienne est charmante, mutine et joueuse, une pupille à croquer.
Barbier virevoltant, l’italien Bruno Taddia met en un instant le public dans sa poche. Baryton clair, presque ténorisant, mais d’une belle puissance, il se promène avec facilité sur la tessiture de Figaro, malgré quelques graves posés avec prudence. L’aigu est aisé, jamais forcé, et l’agilité coule avec précision, chose rare chez ce type de voix. Il occupe littéralement le plateau, toujours racé et malicieux.
Le docteur Bartolo, barbon tourné en dérision, se voit croqué avec rondeur et bonhommie par la jeune basse italienne Tiziano Bracci. Le timbre est somptueux, l’émission haute et clair, remplissant sans effort la salle. Le sillabato se révèle remarquable, surtout au tempo d’enfer pris par le chef dans son air. Le personnage est jovial, plus tendre que tyrannique, finalement très attachant. Un autre chanteur à suivre de très près.
Le Basilio du français Nicolas Courjal reste plus en retrait, semblant hors de son élément stylistique. La voix est puissante et belle, mais l’esthétique rossinienne paraît lui échapper, d’autant plus que, étrangement, il ne roule pas les r – sauf lors de sa dernière apparition –, ce qui retire beaucoup de force à son texte, notamment dans l’air de la Calomnie, qui manque d’impact et de démesure.
Très drôle Berta, Giovanna Donadini s’amuse comme une folle et se révèle l’un des moteurs de l’action. Faisant sonner sa belle voix, Christian Helmer sait tirer parti des répliques de Fiorello. Prestation remarquable du chœur du Châtelet, très homogène, à la fois nuancé et sonore.
Un public en liesse a salué ce magnifique spectacle qui fait un Barbier surprenant et très accompli.
Paris. Théâtre du Châtelet, 30 janvier 2011. Gioacchino Rossini : Il Barbiere di Siviglia. Livret de Cesare Sterbini. Avec Il Conte d’Almaviva : Bogdan Mihai ; Rosina : Anna Stéphany ; Figaro : Bruno Taddia ; Bartolo : Tiziano Bracci ; Basilio : Nicolas Courjal ; Berta : Giovanna Donadini ; Fiorello : Christian Helmer. Chœur du Châtelet. Décors : Llorenç Corbella ; Costumes : Renata Schlussheim ; Lumières : Eduardo Bravo ; Chorégraphie : Nuria Castejon. Ensemble Matheus. Jean-Christophe Spinosi, direction musicale ; Mise en scène : Emilio Sagi.