Benjamin Lévy, direction
Paris, Opéra Comique
Mardi 19 juin 2012, 20h
« La Musique Française, du Rire aux Larmes »
A. Roussel
Le Testament de la Tante Caroline – Suite-Fantaisie (1936/2012 – 7’)
Reconstitution et arrangement Thibault Perrine – Première Exécution
(Avec l’aide du Centre International Albert Roussel – Damien Top)
H. Duparc : Aux Étoiles, Entracte pour un Drame Inédit (1874/1911 – 6’)
R. Hahn : Suite Hongroise (Posthume – 19’)
G. Bizet : L’Arlésienne (1871 – 45’)
Mélodrame sur un texte d’Alphonse Daudet
pour petit orchestre avec Récitant et Chœur de Chambre
Maria de Medeiros, narrateur
Lidija Bizjak, piano
Pablo Schatzman, violon
Benjamin Levy, direction
Musique française à l’Opéra Comique
Programme concerté, rare, riche en correspondances et résonances allusives, le concert du 19 juin 2012 défendu par l’Orchestre Pelléas et son excellent chef et fondateur Benjamin Lévy, est prometteur. Il dévoile plusieurs oeuvres françaises injustement méconnues…
3 ans avant Carmen, Bizet compose l’Arlésienne dont l’action franche s’inscrit au coeur du paysage provençal. Voici la version originale destinée à accompagner le texte de Daudet (Les lettres de mon moulin): mélodrame ou pièce de théâtre avec récitant, petit orchestre et choeur de chambre. C’est une occasion exceptionnelle d’écouter l’oeuvre in extenso plutôt que la Suite symphonique qui n’offre qu’un aperçu trop réducteur de la partition. En complément, Benjamin Lévy choisit la seule opérette de Roussel (créée à l’Opéra-Comique en 1937), Le testament de la Tante Caroline dont il joue l’ouverture: le raffinement de l’orchestration est un sommet de l’école symphonique française et l’on retrouve comme dans Le roi Pausole d’Honegger, une forme ciselée pour un sujet des plus légers.
Compléments de programme: le non moins rare mais passionnant double Concerto de Reynaldo Hahn (Suite hongroise pour piano, violon, percussions et cordes), comme l’unique opus symphonique qui ne soit parvenu de Duparc, excepté Lénore, Aux étoiles, entracte pour un drame inédit, devait composé le premier épisode d’un cycle tripartite (Aux Étoiles, Luttins et Follets et L’Aurore). Les deux derniers mouvements ont été détruits par Duparc qui précisait ainsi l’enjeu poétique de sa pièce ainsi esseulée: » « La lumière sidérale des nuits ! Qui peut savoir les vertus secrètes de cette lumière si humble, mais venant de l’immensité ?… ». Programme rare donc incontournable.
Entretien avec Benjamin Lévy
à propos du concert du 19 juin 2012 à l’Opéra-Comique
S’ils ne jouent pas sur instruments d’époque, les musiciens de l’Orchestre Pelléas, historiquement informés, défendent avec passion et intégrité, tout un pan du répertoire français méconnu; de Bizet à Roussel, de Hahn à Duparc, il s’agit d’exprimer le caractère hautement dramatique des oeuvres choisies, car l’esprit de la troupe qui anime l’Orchestre Pelléas, se libère totalement dans les partitions qui appellent le déploiement scénique, le mouvement de l’action… Singularité du programme présenté à Paris et à Vichy, répertoire et style… Benjamin Lévy, directeur fondateur de l’Orchestre Pelléas, évoque la ligne artistique et interprétative du collectif…
Quelle est la cohérence du programme présenté ce 19 juin ?
Le programme du concert est une illustration de l’une des préoccupations principales de l’Orchestre de Chambre Pelléas : la défense d’un répertoire français tombé en désuétude.
Quand il s’est agi de concevoir un programme dans les « Rumeurs » des représentations des Pêcheurs de Perles, mon premier souhait a été de donner la version originale de l’Arlésienne.
De nos jours, on connait principalement de cette oeuvre les suites pour grand orchestre symphonique qui en ont été tirées postérieurement.
L’Arlésienne est au départ une nouvelle d’Alphonse Daudet présente dans le recueil des Lettres de mon Moulin. En 1872, Leon Carvalho, directeur du Théâtre du Vaudeville passe commande à Alphonse Daudet d’une pièce de Théâtre sur le même sujet. (Le Théâtre du Vaudeville se trouvait d’ailleurs à l’emplacement de l’actuel cinéma Paramount, à deux pas de l’Opéra Comique).
Georges Bizet écrit une magnifique musique de scène pour orchestre de chambre et petit choeur. La musique est très protéïforme : tantôt prélude, tantôt entracte, elle se fait également « mélodrame » c’est à dire qu’elle sert d’accompagnement (ou de déclencheur) au texte.
La première série de représentations est un échec, il faut attendre les représentations données en 1885 (10 ans après la mort de Bizet) au Théâtre de l’Odéon pour que l’ouvrage obtienne un réel succès, mais avec une musique transformée, remaniée, boursouflée en terme de formation orchestrale, bien loin des intentions originelles du compositeur.
Si la pièce en elle-même a beaucoup vieilli avec ses nombreux personnages secondaires et ses diverses intrigues mêlées, l’essence de son message est d’une très grande force et l’oeuvre reste porteuse d’une émotion très actuelle.
J’ai donc demandé à Pauline Sabatier et Alexandra Lacroix de réaliser une adaptation du texte pour un récitant, en l’occurrence Maria de Medeiros.
Je suis ravi de cette adaptation qui combine des éléments de la nouvelle et de la pièce. Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point le sujet de l’Arlésienne et de Carmen (datant de l’année de la mort de Bizet en 1875) sont très apparentés : d’une part cette attraction pour un personnage inaccessible et d’autre part la possibilité entrevue du renoncement à cette passion dévorante grâce à la présence de l’amour plus proche, plus simple, plus « domestique » (elles sont toutes deux choisies par la mère du héros) de Micaëla (dans Carmen) ou de Vivette (dans l’Arlésienne).
Nous ouvrons le programme par une première absolue :
La suite fantaisie tirée du « Testament de la Tante Caroline » d’Albert Roussel. J’ai eu connaissance de l’existence d’une « Suite-Fantaisie » tirée de cet ouvrage par l’intermédiaire de Damien Top, président du Centre International Albert Roussel. Une copie du manuscrit de ce qui devait être le dernier mouvement de cette Suite m’a été adressée, et nous avons décidé de reconstituer cette oeuvre avec l’aide de Thibault Perrine (qui est déjà l’auteur de la reconstitution de la Bourrée Fantasque d’Emmanuel Chabrier, selon les esquisses inachevées du compositeur, (que nous avions donnée déjà à l’Opéra Comique en 2007).
Nous jouerons donc cette Suite Fantaisie en « Première Mondiale » ! le 19 juin.
Le Testament de la Tante Caroline est le seul ouvrage léger d’Albert Roussel. Unique opérette de ce contemporain de Maurice Ravel l’œuvre fut présentée pour la première fois à l’Opéra-Comique en 1937. Albert Roussel suit l’exemple d’Arthur Honegger, qui en 1930 avait livré avec « Les Aventures du Roi Pausole » une musique d’un extrême raffinement sur un argument des plus grivois ! Il est fascinant et réjouissant de constater avec quel talent Roussel, faisant fi des « étiquettes » a su mettre lui aussi sa science au service d’un livret burlesque créant une œuvre totalement délirante.
A l’inverse, la Suite Hongroise de Reynaldo Hahn illustre combien un compositeur de musique « légère » peut nous émouvoir et nous étourdir avec ce double-concerto très rarement joué pour piano, violon, orchestre à cordes et percussions.
Aux Étoiles forme avec Lénore le seul témoignage conservé de la musique symphonique d’Henri Duparc (célébré dans le monde entier pour ses dix-sept mélodies).L’œuvre est quant à elle l’unique survivante d’un Poème Nocturne dont les trois mouvements étaient : Aux Étoiles, Luttins et Follets, et L’Aurore. Le compositeur détruisit les deux derniers, ne subsiste donc qu’une sublime pièce symphonique qui porte en exergue cette citation « La lumière sidérale des nuits ! Qui peut savoir les vertus secrètes de cette lumière si humble, mais venant de l’immensité ?… »
Quelle est la singularité de l’Orchestre Pelléas et de quelle façon ce programme met-il en lumière ses qualités spécifiques?
L’Orchestre insiste sur la collégialité; nous estimons que seuls des musiciens ayant part aux décisions concernant la vie et le devenir de l’orchestre, peuvent s’en sentir réellement partie prenante.
Comment en effet s’impliquer dans une formation quand on a la sensation d’en être uniquement employé et non, en quelque sorte, propriétaire.
L’aventure de l’Orchestre de Chambre Pelléas a débuté lors de représentations lyriques (à l’origine, avec la Compagnie les Brigands au Théâtre de l’Athénée) et notre souhait a été d’étendre cette esprit de troupe, de compagnie aux dimensions d’un orchestre.
Ce programme, présenté à l’opéra comique le 19 juin puis à l’opéra de Vichy le 18 août, met d’ailleurs l’accent sur les liens qu’entretient notre orchestre avec la musique de scène : l’œuvre de Roussel est tirée d’une opérette, « Aux Etoiles » de Duparc est sous-titré « Entracte pour un Drame inédit », Reynaldo Hahn est avant tout un compositeur de théâtre et notre « Arlésienne » est réellement une pièce de théâtre en musique.
Concernant le répertoire de l’Orchestre, quelle sont vos champs identitaires?
En plus de notre souci de redonner vie à tout un répertoire français ayant souffert de sa mauvaise image de musique « facile », « légère » ou « naïve » au sens péjoratif de ce mot, notre mot d’ordre est, pour les répertoires, pré-classiques, classiques et romantiques d’appliquer sur les instruments modernes les découverts faites sur les instruments d’époque.
Nous entendons être des musiciens « historiquement informés », par souci d’une fidélité la plus grande possible à la pensée originelle du compositeur.
Sans changer d’instrument, nous pouvons donc au cours d’un même concert, présenter des oeuvres d’époques très variées.
Il nous semblait important de nous ré-approprier tout un pan du répertoire qui, pour de très bonnes raisons, était le « pré carré » des seuls ensembles sur instruments d’époque. Après la période des orchestres « baroques », nous sommes entrés dans celle des formations « post-baroques » !
Toutes les infos et les modalités de réservation sur le site de l’Orchestre Pelléas. Banjamin Lévy, direction