mardi 6 mai 2025

Orange.Théâtre antique. 9 juillet 2011. Verdi : Aida. Indra Thomas… Orch. National du Capitole de Toulouse . Tugan Sokhiev, direction. Mise en scène : Charles Roubaud

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Aida orientalisante à Orange

Aida, opéra à grand spectacle, est à l’aise à Orange et pour fêter dignement ses 40 ans le festival a choisi ce chef d’œuvre garantissant l’épanouissement de la magie des lieux. Déjà en 1995 et 2006 c’était Charles Roubeaud qui l’avait mis en scène. Ce soir l’originalité de la nouvelle proposition embellit et poétise l’ouvrage. Débarrassée du fatras antiquisant qui souvent ridiculise les chanteurs, la beauté des costumes orientaux en camaïeux bleu nuit est un régal pour l’œil tant les artistes sont beaux et à l’aise. Aida déplacé à l’époque du protectorat du XIXième siècle est une riche idée qui dépasse la pure beauté formelle. Le sens donné à ce peuple Egyptien complexe et querelleur, la brutalité de traitement des éthiopiens vaincus, sous le regard distancié des Européens est bien en phase avec notre époque. Le drame intime trouve également sa part de mystère dans cette adaptation totalement réussie. Seul un jeu d’acteur trop minimaliste aurait du être développé afin d’aider les chanteurs dans l’expression des passions de leurs personnages pendant leurs airs et duos. Des lumières subtiles et de très intéressantes projections vidéo habillent le mur antique d’un orient de rêve. Beau travail conjoint de Avi-Yona Bueno et Nicolas Topor. Les ballets sont traités avec humour et force par Jean-Charles Gil. Le charme des enfants et l’expression du désespoir fier des éthiopiens sont de riches trouvailles évitant les poncifs habituels. Le renouvellement dû à cette mise en scène habile permet un accord rare avec les propositions de Verdi.
Ainsi la direction de Tugan Sokhiev peut sans hésitation s’abandonner aux excès de la partition avec un goût exquis. Dès le prélude ciselé en termes de phrasés et de nuances, le chef Ossète donne une lecture passionnée de cette page souvent incomprise. Toute la suite défendra la dramaturgie verdienne si fragile dans Aida avec conviction. L’affrontement entre Amneris et Aida est plein de subtilités, la scène du triomphe est très bien construite avec emphase mais sans une once de mauvais goût (un record !). Les musiques de ballet prennent une dimension nouvelle sous cette battue si élastique. L’acte du Nil n’a pas toute la subtilité attendue mais tout le dernier acte est magique.
Les instrumentistes de l’orchestre du Capitole au grand complet sonnent merveilleusement. Une mention particulière pour les bois avec le hautbois élégant et racé, phrasant divinement de Christian Fougeroux et la flûte sensuelle de Claude Roubichou capable d’imiter le son d’une flûte orientale par moments. Les clarinettes sont également splendides (la clarinette basse !). Les trompettes sont éclatantes (avec une spatialisation réussie dans la scène du triomphe) et les violons menés par une Geneviève Laurenceau de vif argent osent des piani divins. Tugan Sokhiev, attentif à tous et ne laissant personne hors de ses mains, s’engage avec passion. Elégance et force dominent l’impression globale de sa direction. Les chœurs en grand nombre, après un début flou se stabilisent et offrent de beaux moments sans toutefois être à la hauteur de la subtilité de l’orchestre.

La distribution est brillante, réunissant des spécialistes des rôles mais tous ne tiennent pas leurs promesses.
Indra Thomas, port de reine et costume somptueux pose et s’impose scéniquement. Vocalement c’est une autre histoire. Voix au vibrato large et non maîtrisé, timbre blanchi par beaucoup d’air, justesse souvent mise en péril et aigus obtenus en force nuisent au phrasés. Tout ceci n’en fait pas une Aida de rêve. Même si Tugan Sokhiev la ménage énormément l’acte du Nil en son ensemble souffre des faiblesses de cette Aida. Le volume vocal est conséquent ce qui lui permet de gagner l’estime d’une partie du public mais n’obtient pas son affection alors que la sympathie pour Aida est un moteur principal du drame…


Le triomphe d’Amneris

C’est l’Amneris de Ekaterina Gubanova qui de bout en bout domine la scène par une musicalité de tous les instants. La voix est magnifique, colorée et homogène, conduite avec une intelligence rare. Les nuances sont délicates avec des piani subtils et des forte rugissants sans saturation. Tout le troisième acte voit son triomphe. Elle campe un personnage d’amoureuse déterminée et courageuse qui touche au cœur. Capable de grande douceur et même de tendresse elle n’est pas la jalouse monolithique que certaines grandes voix en font. Ici la subtilité est royale !

Carlo Ventre en Radames assume sa tessiture meurtrière avec éclat, concentré sur la fabrication du son, mais sans grande subtilité. Seule la confrontation à une Amneris torche vivante lui donnera de l’épaisseur à l’acte trois. Dans le début du duo de la tombe il ose un phrasé piano émouvant. Ne connaissant pas bien le théâtre Antique et son acoustique parfaite il a eu grand tort de toujours chanter fort, car en ce lieu magnifique les sons piano diffusent parfaitement.

Le reste de la distribution va de l’exceptionnel : Julien Dran en messager superlatif, la Sacerdotessa troublante de Ludivine Gomber, à l’insuffisant : le Roi de Mikhail Kolelishvili, en passant par le Ramfis bien campé de Giacomo Prestia et l’Amonastro juste correcte d’Andrezj Dobber.
L’ambiance si particulière de cette ville qui vibre à ses Chorégies depuis 40 ans et l’harmonie d’une belle soirée d’été ont achevé de faire de cette Aida un bien agréable moment. Le public compact et heureux lui a fait un beau succès qui se renouvellera très probablement mardi prochain.

Orange.Théâtre antique, le 9 juillet 2011. Giuseppe Verdi (1811-1901) : Aida ; Opéra en quatre actes sur un livret d’Antonio Ghislandozi. Mise en scène : Charles Roubaud ; Chorégraphie : Jean-Charles Gil ; Costumes : Katia Duflot ; Eclairages : Avi-Yona Bueno ; Video : Nicolas Topor. Aida : Indra Thomas ; Amneris : Ekaterina Gubanova ; La sacerdotessa : Ludivine Gombert ; Radames : Carlo Ventre ; Amonastro : Andrezj Dobber ; Ramfis : Giacomo Prestia ; Il Re : Mikhail Kolelishvili ; Un messagero : Julien Dran. Chœurs d’Anger-Nantes Opéra (Chef de chœur : Sandrine Abello) ; Chœurs de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse, (Chef de chœur : Aurore Marchand) ; Chœurs de l’opéra de Nice, (Chef de chœurs Giulio Magnani) ; Chœurs de l’Opéra de Tours, ( Chef de chœur : Emmanuel Trenque ) ; Ensemble vocal des chorégies d’Orange. Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction musicale : Tugan Sokhiev.

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chorégies d'orange, theatre antique orange 2011 les 40 ans

Les Chorégies d’Orange 2011. Edition des 40 ans, du 9 juillet au 2 août 2011. A l’affiche, en complément aux concerts symphoniques, deux opéras de Verdi, joués deux fois au Théâtre Antique, d’abord Aïda (9 et 12 juillet 2011 à 21h45) puis, Rigoletto (les 30 juillet et 2 août à 21h30). Présentation vidéo des Chorégies 2011… Entretiens avec Thierry Mariani (Président), Raymond Duffaut (directeur
général), Charles Roubaud et Paul-Emile Fourny, metteurs en scène… En
quoi Orange aujourd’hui est il un festival unique et singulier? Quelles
sont ses spécificités? Ses perspectives futures? Présentation des deux
productions lyriques 2011

Illustrations: © P.Gromelle Orange 2011
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