Boccherini idiomatique
L’album Boccherini à Madrid qui paraît en octobre chez Ambroisie, fait suite à un précédent opus Pulcinella qui démontrait avec combien d’arguments, déjà sur le plan de la ciselure instrumentale, la vitalité bienheureuse, préromantique, de Vivaldi à Venise, au travers de ses Sonates pour violoncelle (album paru en mai 2006). La violoncelliste française, Ophélie Gaillard poursuit une même exigence en abordant les terres ibériques choisies par Luigi Boccherini, né Toscan à Lucca, passionné et même fasciné comme Casanova par la danse et les rythmes lascifs du fandango. Immersion totale dans la surenchère des couleurs, des syncopes, auxquels chaque instrumentiste de Pulcinella apporte sa contribution complémentaire.
Toscan, fasciné par l’Espagne et ses couples enlacés dansant le fandango, comme Casanova, Boccherini est un chantre de la sensualité rayonnante espagnole, un compositeur qui continue de fasciner tous les violoncellistes. Il fut lui-même virtuose de l’instrument, acclamé dès l’âge de 13 ans, à Lucca sa ville natale, dès 1756, formant un duo célèbre avec son père qui l’accompagnait à la contrebasse. Prodige à Vienne où Haydn et Gluck le remarquent, à Paris aussi… Il sera le favori de Frédéric Guillaume II de Prusse à partir de 1786, à 43 ans.
Couleurs d’Espagne
D’emblée, Ophélie Gaillard dont le jeu est sublimé par son instrument, un Gottfriller Udinese de 1737, souligne combien l’interprète et compositeur a laissé plusieurs partitions exceptionnelles par l’ampleur de la tessiture instrumentale exigée à l’instrument. L’air académique « Se d’un maor tiranno » (enregistré avec le concours du soprano coloratoure de Sandrine Piau) le montre sans réserve entre l’extrême aigu et la lugubre basse, l’écriture étendue projette et exprime les écarts et les vertiges de la passion amoureuse en véritable partenaire de la voix. En compositeur visionnaire Boccherini a créé non seulement la forme du Quintette à cordes, mais il a aussi su dépasser la forme classique de la sonate en intégrant le genre du fandango dans le déroulement des mouvements. Il inscrit ainsi dans un cadre pourtant parfaitement fixé et équilibré avant lui, la troublante vitalité des danses et du folklore espagnol.
En toscan hispanisé, Boccherini fut l’époux de deux femmes natives. Il demeure totalement « intégré », et a même contribué à l’essor du genre de la zarzuela en composant La Clementina. C’est que le compositeur a parfaitement adopté et assimilé les idiomes de sa terre d’adoption. Boccherini aime dans l’écriture musicale, les espagnolades, ces formules courtes, rapides, fulgurantes, véloces, tournures rythmiques concentrées dont la précipitation est souvent hallucinée. Ravel plus tard en sera de la même façon totalement subjugué. Boccherini a laissé dans son fandango de 1788 pour quintette à cordes, l’aboutissement d’un travail hispanisant d’une fierté théâtrale et vive voire nerveuse, repris dis ans après pour le marquis de Bénavent, lui-même passionné par la guitare. Le fandango dont l’ivresse rythmique repose sur une basse harmonique « obstinée », d’une répétition entêtante, avait marqué avant Boccherini, Casanova, dès 1767. L’écrivain y remarque entre autres, l’extrême lascivité des couples qui la danse, chorégraphie subtilement amoureuse, récapitulation de l’acte érotique, des soupirs préliminaires à l’extase conclusive et libératrice. C’est une conquête physique et sensorielle où la femme offerte, « ravie », ne peut au final « rien refuser à son danseur ». L’hispanité de Boccherini est d’autant plus évidente qu’Ophélie Gaillard a choisi en ouverture de son programme, de solliciter la signature d’artistes madrilènes (percussions et castagnettes) pour son fandango initial.
Joutes érotiques
Si les danseurs excellent dans le tourbillon fusionnel des corps ennivrés, les instrumentistes suivent le même engagement radical, d’une irrépressible tension, chacun relançant l’excitation et la pulsation par la surenchère virtuose, dans les joutes exaltées des timbres (castagnettes, guitare, cordes…), qui composent à leur mesure une véritable compétition érotisée. Fidèle à son dessein premier, Pulcinella veille au son et à l’articulation. D’autant que Boccherini affirme une intuition géniale dans l’alliage des timbres. Autour d’Ophélie Gaillard, les instrumentistes de Pulcinella ont opté par un continuo flamboyant et foisonnant, en termes de climats, de nuances, de caractères, d’accents. Leur nouvel album est une totale réussite.
Lire notre critique du cd Boccherini Madrid par Pulcinella et Ophélie Gaillard (1 cd Ambroisie)
Crédit photographique
Ophélie Gaillard (DR)