Festival de têtes d’affiches, tremplin pour les jeunes talents, récapitulatif des programmes musicaux présentés dans le département, mise en avant des interprètes locaux défenseurs passionnés dans tous les répertoires, scène ouverte et gratuite pour tous, forum populaire pour sensibiliser les plus jeunes et susciter de nouvelles vocations… les 3 jours du marathon musical « C’est pas classique! » à Nice, après l’été, depuis 4 ans déjà (du 31 octobre au 2 novembre 2008) portent bien leur nom: rien de « ringard » ni d’attendu, rien de convenu ni de traditionnel: mais un vent nouveau de surprises, de rencontres inédites, de projets audacieux dont les manifestations dans leur diversité et les nouvelles configurations réalisées, pourraient indiquer ce futur pour le classique, cet avenir que d’autres cherchent avec d’autant plus d’acuité en ces années de crise de la filière musicale… crise du cd bien sûr, mais aussi crise des publics, crise de la diffusion et de la création…
Outre une nouvelle offre musicale qui frappe par sa dimension (1000 musiciens conviés à l’invitation du Conseil Général des Alpes Maritimes et de la Ville de Nice, deux entités territoriales à présent incarnées, depuis les dernières élections municipales, par un seul homme: Christian Estrosi), l’événement qui a trouvé son public, pourrait encore surprendre pour ses prochaines éditions.
52.000 visiteurs en 2008
Le Député-Maire peut être satisfait. C’est lui qui dès 2005 a lancé le pari et fait aujourd’hui de « C’est pas classique », le premier festival gratuit en nombre de visiteurs: 52.000 en 2008! Un record qui montre l’importance du phénomène. Un tel engouement du public fait du bassin niçois et de sa région, le foyer le plus actif orienté vers tous les publics, aux côtés de Nantes et de sa Folle Journée. Mais a contrario du festival nantais, payant et thématisé autour d’une période ou d’un compositeur, C’est pas classique! vise un tout autre défi: renouveler le genre… en ne s’adressant pas uniquement aux seuls mélomanes convaincus.
La surprise et la découverte sont au coeur de l’événement. Totalement gratuit, le festival s’ouvre à tous les publics, en particulier à ceux pour lesquels la musique classique est naturellement/culturellement une terre étrangère voire un loisir inaccessible. Voilà pourquoi en plus des concerts et des programmes de musique, C’est pas classique « ose » des genres nouveaux « choeuraoké », propositions pédagogiques et de sensibilisation (ateliers pratiques d’initiation aux instruments, masterclasses, rencontres, concours de DJ, musiques des jeux vidéos jouées par un orchestre; répétitions d’opéra, ouvertes aux jeunes de quartiers défavorisés…). En ne laissant personne à l’écart, le classique à Nice joue son avenir. Ni élitistes, ni guindés, l’opéra et le concert y sont décomplexés. Terre des festivals pendant l’été, le département des Alpe-Maritimes réussit mieux qu’ailleurs la démocratisation du genre.
Gratuité réfléchie
L’édition 2008 qui s’est fermé dimanche 2 novembre confirme le succès d’un festival sans équivalent dans l’Hexagone. En plus de l’ouverture destinée aux plus jeunes, aux familles comme aux non initiés, C’est pas classique! pourrait bien devenir à terme, une aventure pilote aux bénéfices multiples. La gratuité n’y est pas concurrente des programmateurs privés qui font payer leur entrée: situé après la saison des festivals de l’été, en un moment de repli de l’activité musicale, le marathon met en avant tous les acteurs de la musique sur une scène à la mesure de son enjeu : l’Acropolis, vaste ensemble de salles et de galeries qui composent le Palais de Congrès, situé au coeur de la ville).
A tous ceux qui veulent réaliser le pari de la découverte et « s’offrir » un concert de musique baroque, de musique symphonique, de choeur ou d’opéra, le festival propose une programmation diversifiée et immédiatement accessible: aucun sou à débourser sinon de la patience et du temps car souvent, succès oblige, il est nécessaire de patienter avant les grands concerts. Mais chacun y trouvera sa place: d’ailleurs la capacité n’est pas un obstacle dans l’Acropolis… qui dispose de deux grandes salles de spectacles, les salles Athéna et surtout l’immense volume de la salle Apollon (2.500 sièges).
Le pari de C’est pas classique: surprendre, convaincre et bientôt faire rêver… La captation d’un très large public se réalise par des conditions d’accès sans condition. Le message du festival est clair: la découverte et le confort d’écoute, accordés à la qualité des ensembles et des solistes qui y paraissent. Voilà une excellente vision qui pourrait renouveler les publics du classique.
Voix et opéra à l’honneur
Cette année, l’opéra et la voix étaient particulièrement mis en avant: grande soirée d’ouverture (« La vie, l’amour et la mort des divas », vendredi 31 octobre 2008 à 20h30) avec l’Orchestre régional de Cannes PACA qui sous la direction de Philippe Bender, qui porte la phalange depuis 30 ans, accompagne les jeunes tempéraments vocaux dont l’excellente Sylvia Hwang (lauréate du Concours international de Chant de Montréal 2005): clarté du timbre, technique impeccable, intensité et intériorité du chant. Sa Gilda (de Rigoletto de Verdi) rayonne de sensibilité tendre et lumineuse.
Le lendemain, samedi 1er novembre, aux côtés des innombrables ateliers, rencontres, sessions en tous genres qui dès 13h30 proposent à chaque visiteur l’occasion de découvrir et de comprendre le classique, deux grands événements ont marqué aussi les esprits, au sein de la thématique 2008: le concert Verdi, Puccini du Philharmonique de Nice, puis en soirée, le gala exceptionnel des 20 ans de Virgin classics.
L’Orchestre qui anime la fosse de l’Opéra de Nice, le Philharmonique dirigé par Marco Guidarini, peut s’enorgueillir de la direction du maestro depuis 2002: la direction de celui qui vient d’inaugurer l’Opéra d’Oslo, se révèle à la fois vive et musclée, sensible et engagée (superbe intermède de Manon Lescaut de Puccini). Ce geste ample et précis, jamais appuyé, fait de marco Guidarini l’une des baguettes les plus fines de la scène actuelle. Après avoir ouvert les répétitions de Macbeth (actuellement à l’affiche du théâtre lyrique) aux jeunes des quartiers défavorisés, Orchestre et chef jouaient un programme d’opéra italien, composé d’airs de Verdi et de Puccini. Les musiciens sont à leur aise dans le lyrique: ils n’écrasent jamais la voix comme on a pu l’écouter parfois s’agissant de l’Orchestre de Cannes. L’équilibre voix et orchestre est magistralement préservé et indique déjà l’acuité superlative du chef.
Côtés voix, nouvelle recrue de l’écurie Decca, Nathalie Manfrino incarne Mimi (La Bohème de Puccini) et Violetta Valéry (La Traviata): souffle généreux, emportement sensuel, présence vocale (malgré une articulation souvent savonnée), la soprano ne manque pas de caractère. Lui donne la réplique, avec ardeur et vaillance, le ténor Jorge de Leon dont l’accord expressif avec chef et orchestre gagne un cran supérieur.
Les 20 ans de Virgin
Pour huiler le déroulement de la soirée retransmise en direct sur Radio Classique, et qui doit durer pile 2h30, ni plus ni moins, il faut bien commencer les répétitions dès 16h30, dans la vaste salle Apollon de l’Acropolis (2.500 sièges).
Le label fondé par Alain Lanceron (lui-même niçois, qui recevait au préalable, la médaille d’honneur de la ville de Nice) au sein du groupe Emi Classics se distingue par son esprit de famille, une affection particulière pour les voix et les pianistes. Hasard lié à la disponibilité des artistes présents ou signes indicateurs, les grandes voix du label comme les pianistes phares n’ont pas manqué de répondre à l’invitation de leur maison de disques: à défaut de Natalie Dessay (excusée pour cause de succès aux USA), Diana Damrau et Max Emmanuel Cencic, chacun rayonnant d’une exquise musicalité, incarnent évidemment le changement et un nouveau style. A leurs côtés, les maîtres du clavier se taillent la part du lion: Nicholas Angelich, Piotr Anderzewski et le plus jeune, David Fray… Au cours de la soirée, paraissent aussi en trio famillial, le toulousain Vicente Pradal accompagné par sa fille (chant) et son fils (piano), le Quatuor Artemis et les incontournables Frères Capuçon dont les spectateurs ont relevé la détermination de Renaud (violon), la ductilité nuancée et non moins énergique de son cadet, Gautier (violoncelle)…
Côté voix, Diana Damrau qui pourtant chantait la veille et le surlendemain, a tenu à rejoindre Nice pour fêter l’anniversaire: mozartienne, la soprano chante le premier air de Constance avec pudeur et engagement. La soirée offre des surprises inédites: en duo avec Ian Bostridge, lequel avait auparavant interprété Don Ottavio de Don Giovanni (Dalla sua pace), aux contorsions maniéristes pourtant très articulées, Diana Damrau choisit une romance de Schubert qui transporte et s’impose par sa douceur musicale et sa profondeur poétique (Licht und Liebe). Mais la soprano qui fait paraître un nouvel album autour de Mozart (Donna), a coloré autrement la fin de sa prestation, « osant » deux airs redoutables de Richard Strauss: Wiegenlied et Zueignung…
Rossinien subtil, à la vocalità sans mignardise, le contre-ténor, Max Emmanuel Cencic chante Tancrède de Rossini: son air: « Ô Patria… Di tanti palpiti », hier porté par Frederica Von Stade, s’impose indiscutablement par sa musicalité, son aisance de souffle et son opulence du timbre, parfaitement placé dans tous les registres de la voix. Celui qui fut une Sposa remarquée dans l’oratorio événement Il Sant’Alessio de Landi (1 dvd Virgin), nous promet de futurs délices dont Faramondo de Haendel, à paraître au printemps 2009…
Virgin affichait aussi le temps de cette soirée pas comme les autres, ses pianistes maison: assurant l’ouverture du programme, Nicholas Angelich éclairait cette légèreté sans apprêt, inspirée par l’esprit de l’enchantement et de l’enfance sur des rythmes jazzy du premier mouvement du Concerto en sol de Maurice Ravel. Dos voûté et comme aspiré vers son clavier, tout intériorisé, nouvel agent des mondes flottants d’un Schubert méditatif et secret, David Fray laissait Bach (qui l’occupe actuellement car il publie son nouvel album autour des oeuvres du compositeur baroque), pour un Impromptu (n°1 en do mineur opus 90) dont il exprime la langueur interrogative, les élans et la profondeur ouverte d’une âme en quête. Superbe soirée.
Nice. Acropolis, les 31 octobre et 1er novembre 2008. Festival « C’est pas classique! », 4ème édition. Soirée d’ouverture, concert du Philharmonique de Nice (Marco Guidarini, direction). Gala des 20 ans de Virgin Classics avec Diana Damrau, soprano. Max Emmanuel Cencic, contre-ténor. Ian Bostridge, ténor. Paloma, Rafael et Vicente Prdal. David Fray, Nicholas Angelich, Piotr Anderszewski, pianos. Quatuor Artemis. Renaud et Gautier Capuçon, violon et violoncelle. Orchestre régional Cannes PACA (Philippe Bender, direction).
Illustrations: l’Acropolis de Nice, atelier de violon, Marco Guidarini, la soiré des 20 ans de Virgin Classics, Diana Damrau, Max Emmanuel Cencic (DR)