Raymond Berner révélé
Le fil conducteur en était la Shoah et rendait hommage à Raymond Berner (1899-1944). En première partie, la basse vibrante et chaleureuse Richard Cassell interprète avec une conviction et un aplomb très musical – et presque trop opératique – trois Chants Hébraïques de Ravel. Son incursion dans le répertoire français est plus que bienvenue : voix posée, ligne intelligemment conduite, digne prestance.
Concertiste reconnu, Lutz Rath fait résonner au violoncelle la Louange à l’Eternité de Jésus, extrait du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen. Atmosphère de recueillement suspendu en laquelle la sonorité raffinée de l’instrumentiste est par instant ternie par une justesse approximative.
La découverte qui justifiait la programmation de ce concert consiste dans la suite de mélodies du compositeur français Raymond Berner. Créé en 2008 à Dunkerque sur le Trois-mâts Duchesse Anne (lire notre compte rendu « Raymond Berner, un voyage sans retour » sur classiquenews.com), Le Voyage sans Retour voyait ce jour-là sa première exécution sur le continent américain. Rappelons le destin terrible de ce compositeur juif qui fut assassiné à Auschwitz avec son épouse en 1944. Il n’avait que 45 ans. Peu auparavant, il avait confié à son voisin quelques manuscrits (c’est pratiquement tout ce qui nous reste de lui, avec quelques harmonisations de chansons ou quelques musiques de films). Retrouvés après avoir sommeillé dans un grenier pendant plus de soixante ans, ils ont immédiatement excité l’attention du musicologue et ténor Damien Top qui décida de les ressusciter dans le cadre du « Festival International Albert Roussel » qu’il dirige dans le Nord de la France. En l’absence d’indications précises de l’auteur, l’ordre des numéros est incertain et a fait l’objet d’une reconstitution cyclique hypothétique, cependant justifiée par la logique du déroulement narratif. Ainsi assistons-nous aux épisodes successifs de l’existence des cap-horniers : adieux sur le quai, exaltation du grand large, berceuse exotique, escales, tempête, naufrage, et de leurs épouses demeurées à terre et vivant dans l’attente, l’angoisse ou le souvenir.
Malgré une articulation inexistante et une diction problématique, la mezzo Frances Devine parvient à toucher par sa fragilité et son inexpérience. Elle campe un personnage de femme-enfant qui semble moins concerné par le tragique de la vie des marins (pages fauréennes du début : Viens, la terre a des attraits) que par le charme émanant de sa personne (Mon matelot porte en son corps). Cette distanciation de l’interprète n’en donne que plus de poids à la prestation de ses partenaires.
La pianiste Hélène Jeanney puise avec une compréhensible gourmandise dans le magnifique Yamaha de concert une palette de nuances chatoyantes. Attentive aux rapides changements d’atmosphères et en adéquation avec les inflexions des chanteurs, elle déploie des pianos timbrés, un legato fluide et souplement léger, des forte éclatants. Damien Top prend peu à peu ses marques au fur et à mesure de la gradation de l’intensité des morceaux. Tout d’abord subtilement charmeuse (Dans mon sac de toile blonde), la voix s’enhardit dans les chants de marins (injonctions : « ho hisse, hé ho » très Vaisseau fantôme), en conservant une diction de grande classe, avant de se libérer et de faire preuve d’un louable engagement dans la Ballade du Roi de la Mer, laquelle conclut le programme dans un déferlement sonore wagnérien en diable, admirablement rendu par la pianiste. Il ne reste qu’à souhaiter à cette suite lyrique originale d’autres programmations afin de conquérir une plus vaste audience.
New-York. Yamaha Piano center, le 19 novembre 2010. Programme présenté par le Centre International Albert Roussel. Raymond Berner (1899-1944): mélodies. Damien Top, ténor. Hélène Jeanney, piano.