samedi 26 avril 2025

Nathalie Manfrino: Massenet, Méditations (Plasson, 2011)1 cd Decca

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Monaco, Opéra Garnier, septembre 2011: Nathalie Manfrino complète ici un premier album déjà dévolu aux héroïnes de l’opéra français romantique. Mais ce second opus suit l’actualité Massenet en 2012 et aux côtés des hyperécoutées, si prévisibles à force de les avoir applaudies sur scène, Thaïs et surtout Manon, la diva française est bien inspirée de dévoiler d’autres rôles parmi les plus intéressants de Massenet, véritable Puccini français, ivre de voix, génie dramatique d’une constante exigence: voici donc les très rares Marie, (extase de La Vierge, 1880), Marie-Magdeleine (1873), Sapho (1897), Grisélidis (1901), surtout Esclarmonde (1889), sans omettre Ariane (1906) ou Cléopâtre (qui fut créé deux années après la mort de l’auteur, justement à l’Opéra Garnier de Monte Carlo)…

Passions et langueurs tragiques

Commençons par quelques réserves: la pureté de la ligne vocale souffre d’un constant déséquilibre: le vibrato finit par être envahissant menaçant la justesse de l’émission; les aigus sont vibrés et paraissent presque incontrôlables dans leur tenue certes (Dieu! dans Hérodiade, acte III, plage 5), ils sont même détimbrés et voilés (« effleurent d’une blancheur d’ailes »: air de Grisélidis, plage 8) mais la justesse expressive, et l’intelligibilité du texte, la tendresse du chant qui sait aussi, souvent, être claire et blessée, impose ce chant incarné, angélique, d’un cristal plutôt fragile que l’on avait salué pour sa poésie affective dans le précédent cd, édité chez Decca (Airs d’opéras français, Decca, avril 2008).

Cet douloureux abandon, toujours digne qui faisait hier la réussite de sa Chimène (Debussy), ou la prière à Lancelot du Roi Arthus de Chausson, et ici, toute l’extase lacrymale, d’une affectation exprimée au diapason du violoncelle, rond et doloriste, de l’Elégie sur le poème de Louis Gallet , extraits des Erinnyes (1873), lui sied admirablement: Nathalie Manfrino est destinée aux âmes douloureuses et languissantes.

Dans Esclarmonde, massif wagnérien et straussien d’un Massenet très inspiré (par la voix de sa muse d’alors: Sibyll Sanderson, seule capable de relever les défis du rôle titre): Nathalie Manfrino exprime idéalement cette blessure de la femme amoureuse, à l’acte I, atteinte et déjà possédée par l’image de Roland (« héros jamais revu et jamais oublié »); Plasson savoure cet épisode d’extase émerveillée, véritable sommet de l’orchestration française où s’éveille une passion amoureuse, d’un wagnérisme totalement assimilé, coloré et nuancé à l’école de la clarté et de la transparence française. Quel dommage qu’aucune scène lyrique n’ait songé pour le centenaire Massenet 2012 à remonter cette ouvrage hors norme. L’acte III fait paraître après l’extase désirée, consommée, la défaite d’une aimée trahie: la soprano préserve toujours l’intelligibilité malgré d’évidentes limites dans la parfaite tenue des aigus.

Et Manon? Dans le premier disque dont nous avons parlé, déjà la jeune délurée, fausse innocente, inspirait à la soprano une excellente prestation:
coquette et presque précieuse, mais capable d’aigus mieux couverts et plus clairs car ici point n’est besoin de couvrir l’orchestre (Ah mon cousin, excuses moi…).

Salomé (Hérodiade) qui veut mourir; Fanny (Sapho) inconsolable et si grave voire désespérée; Isolde orientale, Sita qui retrouve dans la mort son bel Alim; Grisélidis, triste témoin d’un automne à venir… et Esclarmonde, superbe amoureuse défaite donc; sans omettre l’insouciante Manon… tout cela fait une galerie d’hyperféminité, au verbe épanoui, d’une totale séduction vocale.
Chanter Cléopâtre est tout autre défi: c’est le dernier opus du maître, juste terminé avant sa mort et qui atteste d’une épure presque austérité, belle contradiction à l’artificialité mièvre supposée de son écriture… c’est une nouvelle manière, au crépuscule de toute une carrière versée dans l’art dramatique: regard affûté appliqué à la scène, dans l’esprit de Gluck et de Berlioz: souci de l’efficacité, du sublime et de la grandeur sans emphase: ici, Massenet retrouve le ton de la déclamation française sur les traces aussi d’un Cherubini (Médée).
Au raffinement de l’orchestration, Massenet fait réponde le chant de la reine égyptienne; l’articulation, la précision et la tension prosodique doivent ici exprimer la noblesse de la souveraine comme la tendresse de la femme: sans aigu obligé (sauf sur le dernier mot mais encore ici à peine tenu et audible), tout à fait à l’aise, dans le medium de la voix, Nathalie Manfrino démontre sa maîtrise de la déclamation sombre, ample, naturelle, d’une suavité apaisée, celle d’une grande amoureuse qui a décidé de mourir. Un grand moment de prestance tragique, d’articulation fine et subtile. A l’écoute du disque, on comprend mieux ce style suave et puissant, direct et pourtant aussi finement ciselé qui a tant marqué l’opéra français au tournant du siècle; un modèle pour bon nombre de compositeur hexagonaux tels Charpentier, l’un de ses nombreux élèves et certes pas l’unique cas qui grâce au maître décrocha le prestigieux prix de Rome (qu’il avait lui-même obtenu).
De son côté, en magicien, révélateur de la chair expressive d’un orchestre toujours puissamment articulé, Michel Plasson obtient quasiment tout des musiciens (même si nous pensons que la musique gagnerait à davantage de transparence et d’aspérités dans les cordes): velours sombre et vénéneux, d’un noir tragique profond, effrayant même (introduction « solitude » à l’acte V de Sapho). Très bel engagement au service d’un compositeur dont on s’entête à ne jouer que trois opéras au mépris de tous ses autres, combien plus passionnants. Bel acte militant pour l’année Massenet 2012.

Nathalie Manfrino, soprano. Massenet: méditations. Orch Philh. de Monte Carlo. Michel Plasson, direction. 1 cd Decca. Enregistrement réalisé en septembre 2011. Réf.: 476 4823.

agenda
Nathalie Manfrino donne un récital à Paris au Théâtre des Champs Elysées, le 31 mars 2012 à 20h: airs d’opéras de Massenet. Orch nat. d’Ile de France. Richard Bonynge, direction.
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