lundi 5 mai 2025

Natalie Dessay: airs d’opéras italiens. Verdi, Bellini, Donizetti (1 cd + 1 bonus vidéo Virgin Classics)

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Natalie Dessay
The french touch

Après une intégrale de La Sonnambula de Bellini, (également éditée chez Virgin classics, et avec la complicité du même Pido), revoici « La » Dessay, poursuivant son incarnation des héroïnes romantiques italiennes. La diseuse au chant diamantin et ciselé chez Bellini, renouvelle une vocalità épanouie, incarnée, d’une subtilité de ton, d’une maîtrise vocale, irréprochables. Natalie Dessay mêle plusieurs compositeurs italiens: au Bellini transcendé, ici à nouveau restitué, dans les rôles d’Elvira des Puritani et dans celui de Giuletta d’I Capuletti e Montecchi, la coloratoure française ajoute les grands rôles donizettiens: Maria Stuarda de l’opéra éponyme, et surtout, Lucia di Lammermoor, rôle dans lequel elle vient de triompher sur la scène du Metropolitan new yorkaisen septembre 2007 comme le bonus vidéo de 21mn, complémentaire au présent enregistrement audio, le souligne. A 42 ans, la lyonnaise est au sommet de ses possibilités: elle égale dans le même répertoire, du moins pour Bellini et Donizetti, sa contemporaine Cecilia Bartoli. D’ailleurs la mezzo romaine offre une alternative tout aussi passionnante pour les mêmes rôles bel cantistes, dans son timbre spécifique de mezzo, en s’appuyant sur le travail philologique indiscutable que nous avons souligné à propos de son album Maria (Decca) paru en septembre 2007.

Au début du programme, comme pour se mettre en voix, la soprano aborde Verdi avec E strano de Violetta de La Traviata: l’amplitude du souffle, la musicalité infaillible, l’humanité et la tendresse irréssistible du timbre confirment l’essor vocal de l’interprète. En coulisse, l’Alfredo d’Alagna paraît en comparaison presque un rien trop maniéré tant le chant naturel et simple, évident de la diva française, reste exemplaire. Ayant placé le jeu dramatique au centre de son interprétation, idéal et esthétisme pleinement assumés qui mettent au devant de la scène à présent la « nature »de l’actrice, Natalie Dessay réalise aujourd’hui une fusion exceptionnelle entre geste dramatique et maîtrise vocale. Grâce à cette alliance si difficile mais ô combien réussie, chacune de ses prises de rôles relève d’une performance physique et d’un engagement époustouflant. Le mesure humaine de son chant, dépourvue de tout maniérisme, aux côtés de la pyrotechnie strictement vocale et technicienne, donne l’intensité et la justesse de son style. Autant de caractères distinctifs qui saisissants sur la scène, embrasent tout autant le studui, comme ici.

La blessure de sa voix qui renforce tant cet éclat spécifique, lunaire et crépusculaire, du timbre fait merveille chez Elvira et bien sûr, dans Lucia: deux portraits de femmes sacrifiées, solitaires, victimes hallucinées d’une folie passagère ou durable. Elvira/Lucia, voilà très certainement deux immenses rôles vocales qui confirment le génie dramatique et musical de l’interprète Dessay aux côtés de « La » Bartoli. Abattage, sûreté de l’émission, aisance du souffle, raffinement et ciselure psychologique des accents, éloquence de la diction: le bel canto n’a jamais semblé mieux servi qu’aujourd’hui. En choisissant Maria Stuarda, Dessay incarne un rôle qui fut à l’origine conçu pour Maria Malibran (Scala, 1835), mezzo légendaire qui est le modèle actuel de Cecilia Bartoli: le sentiment élégiaque, la tendresse nostalgique de la Reine d’Ecosse et de France révèlent dans l’incarnation de Natalie Dessay, un aspect sousestimé du personnage qui en fait une Reine martyr: sa capacité à s’émouvoir dans une pensée mélancolique qui lui rappelle les « belles rives de France ». Entre clarté et émotivité, le chant de l’inteprète s’avère exemplaire (Oh nube che lieve… plage 7).

Comme l’artiste a eu raison d’intégrer aussi Gualtier Maldé… caro nome de Gilda du Rigoletto de Verdi d’après Hugo (1851), l’infinie tendresse et la suavité renouvelée du timbre (dont la couleur s’apparente à la plus douce des flûtes) inscrivent le profil de la fille du bouffon à la Cour du Duc de Mantoue, dans le sillon tracé avant elle, par les héroïnes Belliniennes et Donizettiennes. Filiations heureuses et justes.

La rentrée scénique de Natalie Dessay, à l’automne 2007, restera sa Lucia sur la scène du Met de New York, sous la direction de James Levine. La vérité du jeu théâtral et l’aisance de la vocalità plaident là encore pour l’absolu essor de ses possibilités. D’autant que le rôle conçu à l’origine par Donizetti, pour un soprano lirico-spinto, offre à l’interprète de déployer dans la profondeur comme dans la subtilité, avec cette élégance typically french, toutes ses ressources expressives. Sa scène de la folie s’inscrit désormais parmi les meilleures approches du rôle. Tout du style et de la vocalità (magiquement restituée en fusion avec la couleur singulière de l’harmonica de verre), se dévoile en un sentiment à la fois extatique, évanescent. Lunaire, l’essence de Lucia s’incarne, se concrétise: jamais Dessay n’a semblé plus en phase avec un personnage. D’ailleurs, bus et réseaux d’affichage de New York, au moment de Lucia, comme l’ensemble de la promotion du cd, développent l’image de l’héroïne romantique, sorte de Juliette (la fiancée de Roméo) « à la française ». Evelino Pido et Concerto Köln déroulent un somptueux tapis instrumental, aussi précis que chatoyant, murmuré et complice, cependant moins ciselé que la performance d’Adam Fischer et La Scintilla dans l’album Maria de Cecilia Bartoli (Decca)… Il y aurait beaucoup à dire sur les qualités du présent album. En particulier sur le raffinement et l’épanouissement de la voix de Natalie Dessay. Bellini, Donizetti et Verdi trouvent en elle, une ambassadrice accomplie. Plus que 6 portraits de femmes, il s’agit surtout du génie d’une seule artiste, au sommet de ses possibilités, répétons-le, qui ressort de ce nouveau joyau discographique. Articulée, mesurée, et disons-le d’emblée, poètesse des nuances musicales comme orfèvre du verbe incarné, Natalie Dessay est la plus grande belcantiste française actuelle!

Natalie Dessay, soprano: airs d’opéras italiens
Giuseppe Verdi: Violetta, e strano (La Traviata)
Vicenzo Bellini: Elvira, O rendetemi (I Puritani)
Gaetano Donizetti: Maria Stuarda, Allenta il piè, Regina
Giuseppe Verdi: Gilda, Gualtier Maldé… Caro nome (Rigoletto)
Vicenzo Bellini: Giuletta, Eccomi in lieta vesta (I Capuleti et Montecchi)
Gaetano Donizetti: Lucia du Lammermoor, Ardon gli incenzi

Solistes dont Roberto Alagna, Karine Deshayes, Europäischer Kammerchor,
Concerto Köln. Evelino Pido, direction

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