Rien de plus efficace dans le cas de l’opéra Tosca qu’une lecture radicale et mordante qui met en lumière (superbes éclairages): le cynisme et la manipulation, le calcul et la perversité. Tout conspire ici pour la mort du couple amoureux. C’est une lente et effrayante machinerie de l’horreur dont le spectacle présenté au Théâtre Graslin de Nantes, nous décrit chaque avancée.
La mise en scène réalise un sans fautes majeur, premier accomplissement exemplaire en ce début de saison lyrique 2008 – 2009.
Angers Nantes Opéra peut se délecter du duo convaincant, celui des deux hommes de théâtre, Patrice Caurier et Moshe Leiser, désormais familier sur ses planches (depuis, en 2007, L’Enfant et les Sortilèges de Ravel et Jenufa de Janacek).
Est-ce parce que l’opéra de Puccini profite d’un texte initialement conçu pour le théâtre, écrit par Victorien Sardou (pour Sarah Bernhardt -rien de moins- dans le rôle-titre!) qu’il se distingue par sa très forte réussite dramatique? De toute évidence, l’équipe resserre les effets scéniques… à l’essentiel. Jouant sur les espaces fermés, la lecture approche tension et étouffement. On sent au fur et à mesure de chaque tableau que tout doit forcément imploser; que le cadre classique d’une romance sentimentale, finira tôt ou tard, par voler en éclat: et tout cela, la production nous le montre idéalement.
Portés par une direction d’acteurs précise et millimétrée qui ne laisse rien au hasard, les chanteurs sans posséder de grandes voix, se révèlent captivants: justes, vraisemblables. En particulier, le duo sur lequel, en un jeu d’opposition sadomasochiste (Acte II, dans le bureau de chef de la police de Rome), repose toute la tension de l’intrigue: l’infâme et vil Scarpia (Claudio Otelli qui comme son nom ne l’indique pas a fait tout son apprentissage et le début de sa carrière à Vienne et sur les planches du Staatsoper) et la rayonnante et fidèle Tosca (tenue par la musicale soprano Nicola Beller Carbone qui vit à Florence: de fait, l’italien ne lui pose aucun problème d’articulation). On reste plus réservé quant au Cavaradossi de Giancarlo Monsalve, en constant déséquilibre vocal (intonation incertaine, voix écrasé, diction pâteuse et terne, jeu sommaire…).
Qu’importe, l’intelligence avec laquelle le binôme Caurier/Leiser inscrit un climat, rehausse l’intensité d’une situation, s’avère exemplaire. Isolons quelques épisodes dont devraient prendre acte bien des metteurs en scène et hommes de théâtre actuels, parmi les plus connus (souvent excessivement célébrés aujourd’hui): en fin d’acte I, lorsque Scarpia sème dans l’esprit de Tosca, le poison du doute et du soupçon vis à vis du peintre, un rayon de lumière jaune ambré illumine la scène. Matérialisation de l’activité manipulatrice du bourreau qui vient de choisir sa proie: dans l’esprit de la trop naïve et jalouse Floria, s’immisce désormais le venin de la jalousie). Dès lors, le spectateur comprend qu’à présent, dans ce qui va suivre, jusqu’au dénouement final, l’opposition Scarpia/Tosca prime absolument sur l’amour unissant la cantatrice, favorite de la Reine, au chevalier bonapartiste, Cavaradossi.
Au final, à la fin de ce même acte, les scénographes déstructurent complètement le cadre sacré de l’église (Sant’Andrea della Valle) où est sensée se dérouler l’action: l’atelier du peintre devient antre démoniaque d’un Scarpia blasphémateur, déversant sa haine barbare et cruelle, en empoignant la statue de la Vierge…
Plus tard, à l’acte III, après la « détente » qui est le superbe intermède romain où le jeune pâtre associé au chant des cloches de Rome, entonne sa prière angélique, Floria retrouve Mario dans une cellule souterraine où l’assassinat du prisonnier rejoint en horreur cynique, les meilleurs tableaux de Goya: vide glaçant, tueurs mafieux, cadavre expirant… devant les yeux horrifiés de Tosca. Et quand cette dernière, découvrant la supercherie finale qui fait de Scarpia, même après sa mort, le grand triomphateur de l’histoire, Tosca se suicide avec un revolver, son corps s’écrasant derrière la porte de la cellule, de sorte que le spectateur ne découvre que les jambes inertes de la jeune femme : la succession de cette descente aux enfers, trouve un accomplissement terrifiant rarement atteint: le comble du laid et de la barbarie.
Combien nous sommes loin alors, des serments d’amour chantés au I par les deux coeurs amoureux, non encore soumis à la tyrannie perverse de Scarpia.
D’ailleurs, saluons la réussite au II de la confrontation, Scarpia/Tosca: dans le bureau de celui devant lequel tout Rome tremble de peur, lieu des larmes et des tortures, la chanteuse finit en sous-vêtements, humiliée, et même violée par cet exhibitionisme outrancier, sur la table où Scarpia prenait son repas au début du tableau. Bestial et avide, le baron ne voit dans la cantatrice qui chantait
quelques heures auparavant une cantate au Palazzo Farnèse, qu’une
stripteaseuse, un corps à prendre…L es metteurs en scène n’hésitent pas un instant à faire du fameux air Vissi d’arte, vissi d’arte (grande prière désespérée de Tosca), un épisode glaçant de mise à nu, où pendant que la soprano supplie, Scarpia découpe sa robe au ciseau… La violence est à son paroxysme non pas tant à cause de ce qui est donné à voir, mais grâce là encore à une maîtrise captivante de la lumière, à un jeu théâtral particulièrement dosé.
Mise à nu
Autour des deux grands acteurs du spectacle : Claudio Otelli (Scarpia) et Nicola Beller-Carbone (Tosca), tous les chanteurs, exceptée notre déception pour le ténor incarnant le chevalier Cavaradossi, soulignent la grande cohérence du plateau. Chacun s’approprie les options des scénographes, entre justesse et horreur. Saluons de la même façon, l’excellente prestation des instrumentistes de l’Orchestre national des Pays de la Loire qui sous la baguette de Jean-Yves Ossonce (actuel chef du Symphonique Région Centre-Tours), ont su exprimer les convulsions passionnelles de la partition, ses respirations comme ses climats poétiques (dont déjà cité, un remarquable intermède au début du III), sans maniérisme ni pathos décoratif. Une vraie direction pour une mise en scène travaillée, approfondie, des plus pertinentes.
La nouvelle saison lyrique d’Angers Nantes Opéra ne pouvait mieux commencer. L’approche sert continûment l’oeuvre en réalisant un grand moment de théâtre. Spectacle électrisant.
Nantes. Théâtre Graslin, dimanche 28 septembre 2008. Giacomo Puccini: Tosca, 1900. Mise en scène: Patrice Caurier et Moshe Leiser. Lumière: Christophe Forey. Avec Nicola Beller-Carbone, Floria Tosca. Giancarlo Monsalve, Mario Cavaradossi. Claudio Otelli, le baron Scarpia. Frédéric Caton,Cesare Angelotti. Erick Freulon,le sacristain. Emanuele Giannino,Spoletta. Guy-Etienne Giot,Sciarrone. Eric Vrain,un geôlier. Emmanuelle de Negri,un berger
Choeur d’Angers Nantes Opéra (Xavier Ribes, direction). Maîtrise de la Perverie (Gilles Gérard, direction). Orchestre national des pays de la Loire. Jean-Yves Ossonce, direction.
Dernières représentations: encore quatre soirées incontournables, le 30 septembre puis le 2 octobre 2008 à Nantes (Théâtre Graslin). Les 10 et 12 octobre 2008 à Angers (Le Quai). Tosca, nouvelle production présentée par Angers-Nantes Opéra, jusqu’au 12 octobre 2008
Photos: Jef Rabillon © Angers Nantes Opéra 2008