Par notre envoyée spéciale Monique Parmentier
Alors que le coffret discographique est sorti le 1er octobre de cette année (lire notre critique du cd Artaserse De Vinci par Diego Fasolis, Artaserse de Leonardo Vinci) revoit le jour, à l’Opéra National de Lorraine en ce début de saison plutôt morose pour l’opéra baroque.
Cette œuvre remarquable méritait vraiment de revenir sur le devant de la scène. Si le disque en avait déjà persuadé tous ceux qui l’ont entendu, les représentations nancéiennes par leurs fulgurantes beautés auront, nous l’espérons, fini de convaincre les plus sceptiques, permettant ainsi d’espérer un retour au répertoire des maisons d’opéra et une tournée avec la mise en scène pour cette re-création.
Artaserse fut donné pour la première fois en 1730 à Rome. Ses représentations interrompues par la mort du Pape, ne devaient reprendre qu’après la mort du compositeur survenue quelques mois après la création.
Bien souvent les livrets ne servent que de faire valoir à la virtuosité des chanteurs, ici nous sommes en présence d’un véritable petit bijou, écrit par Pietro Metastasio.
La trame nous éblouit par son intensité dramatique. La noblesse des sentiments, la violence psychologique intense auxquelles sont confrontés les personnages, offrent une palette de nuances d’une grande richesse.
Si l’amour y est évidemment présent, c’est sous toutes ses formes, qu’il soit celui des amants, mais aussi filial et amical. D’ailleurs,
Artaserse, une magnifique redécouverte
D’ailleurs, l’amitié tient ici un rôle majeur; dernier rempart contre la cruauté et l’adversité que doit affronter un tout jeune empereur à la personnalité mélancolique et tourmentée.
Les paroles qu’il prononce face à Artabane, père de son meilleur ami Arbace, accusé à tort du meurtre de son père Xerxès par le véritable meurtrier Artabane, montrent à quel point cette vertu est essentielle et salvatrice : « Mais je sais pour mon malheur/que l’amitié était pour moi le choix du cœur/et pour vous une nécessité ».
C’est elle qui permettra en grande partie in fine d’éviter une fin tragique et conduira les deux couples (Artaserse/Sémire – Arbace/Mandane, réciproquement frère et sœur) vers le bonheur et pour Artabane, la rédemption.
Jamais la limpidité du texte n’aura rejoint celle de la musique avec autant de sensualité que dans Artaserse, et l’ensemble des participants à cette production nous la font vivre avec une grande sensibilité.
S’il est vrai que toute mise en scène peut prêter à discussion celle de Silviu Purcărete est d’une rare intelligence. Autour des six personnages, il multiplie les plans par des mises en abime subtiles, théâtre dans le théâtre. Les personnages sont non seulement ceux du dramma per musica, mais redeviennent également par le jeu des costumes et la présence sur scène de figurants, les castrats qui pour la première fois les interprétèrent.
Ainsi Arbace (remarquable Franco Fagioli) qui à la fin de l’acte I redevient le temps de son air le plus virtuose « Vo solcando un mar crudel », Cafarelli lui-même, qui en fit la gloire. Tout nous invite dans l’urgence du drame, dans sa vanité et nous conduit à en ressentir le trouble avec d’autant plus de force. La fluidité de la mise en scène associée à celle des chorégraphies de Natalie van Parys, les costumes extravagants de Helmut Stürmer (auteur également des décors et des lumières) mélange d’outrance et de raffinement ainsi que les coiffures féériques de Cécile Kretschmar, le décor astucieux et efficace avec son plateau tournant et ses panneaux mouvants reproduisant un palais ou un tableau de José de Ribera, le supplice de Marsyas, ne sont pas sans rappeler un certain état d’esprit de la scénographie baroque. On y retrouve cette idée que tout n’est qu’illusion, que ce soit sur scène et dans la vie, ce sourire des chimères, du rêve éveillé, permettant de ne pas succomber et de savoir rire lorsque les miroirs se brisent.
Qui dit représentation dans la Rome papale du XVIIIe siècle, dit interdiction de toute présence féminine sur la scène. Ce sont les castrats qui donc tenaient tous les rôles, y compris ceux des personnages féminins. Pour en revivifier le souvenir, ce sont donc quatre contre-ténors et un ténor qui ont pris leur place aujourd’hui. La distribution était ce soir superlative, brûlante de passion et de folie.
Parlons d’abord de la découverte de cette production en la personne de Franco Fagioli dans le rôle d’Arbace. Le contre-ténor argentin, au timbre troublant, fait preuve d’une agilité confondante, d’un souffle lui permettant des nuances d’une infinie variété. Capable de passer des graves les plus profonds aux aigus les plus rayonnants, ce n’est pas seulement sa technique d’une virtuosité époustouflante qui nous a ébloui mais également ses multiples facettes scéniques qui font de lui, un interprète unique.
Dans le rôle-titre d’Artaserse, Philippe Jarrousky à la tessiture plus limitée mais toujours aussi lumineuse, donne à son personnage cette sensibilité si fragile et mélancolique qui lui sied si bien.
Dans le rôle pourtant plus court de Mandane, la sœur d’Artasese et l’amante d’Arbace, si torturée entre son devoir et son amour, Max-Emmanuel Cencic fait preuve de panache. Son timbre fascinant, sa souplesse, sa facilité dans les vocalises nous offrent des moments d’émotion d’une grande intensité.
Valer Barna Sabadus est une Sémire (la sœur d’Arbace et l’amante d’Artaserse) pétillante et volontaire. Son timbre de sopraniste très pur et sa stature si frêle, associés à sa robe blanche de femme-lyre, font de lui l’oiseau de paix, qui par son intercession et sa force de conviction parvient à maintenir le lien si fragile de la vertu qui unit les personnages. Le ténor Juan Sancho est un Artabane, ce père et cet ami, qui sombre par goût du pouvoir dans une folie meurtrière, particulièrement vaillant.
Enfin dans le rôle de Megabise, général félon qui sème les germes de la trahison et qui est le seul à mourir à la fin du drame, Yuriy Mynenko est un traitre persuasif, percutant.
Dans la fosse le Concerto Köln trouve ici les lumières de l’Italie, entre clairs – obscurs napolitains d’un caravagisme musical très théâtral, et la volupté des couleurs si vénitienne dans l’âme.
La direction de Diego Fasolis emporte musiciens et chanteurs au-delà d’une simple exécution, dans des défis que tous relèvent, d’une virtuosité dont le plaisir est évident. Mélange d’élégance, de rondeur, de témérité, Diego Fasolis ose engager ses troupes dans une quête démentielle de splendeur dramaturgique.
Cette magnifique production est une réussite, un bonheur absolu.
Elle sera prochainement proposée dans une tournée uniquement en version concert, pour l’instant, dans au moins quatre villes d’Europe dont Paris (les 11 et 13 décembre). Ne la manquez pas.
Nancy. Opéra National de Lorraine, le 6 novembre 2012. Leonardo Vinci (1690 – 1730) : Artaserse; opéra en trois actes sur un livret de Pietro Metastasio. Artaserse, Philippe Jarrousky ; Mandane, Max-Emmanuel Cencic ; Artabano, Juan Sancho ; Arbace, Franco Fagioli ; Semira, Valer Barna Sabadus ; Megabise : Yuriy Mynenko. Concerto Köln, Diego Fasolis, direction. Silviu Purcărete, mise en scène et lumières. Décors, costumes, lumières : Helmut Stürmer. Lumières, Jerry Skelton