lundi 5 mai 2025

Namur. Eglise Saint-Loup, le 7 juillet 2012. Récital de Jennifer Borghi, mezzo soprano. Cherubini (Les Abencérages), Spontini (Olympie). Les Agrémens. Guy van Waas, direction

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Sublime effroi de Spontini

Avant Berlioz, il y eut Gluck, réformateur en France de la tragédie lyrique. Avec lui, renaissait un idéal musical et dramatique où l’expérience de la mythologie et de l’Antiquité permet à ceux qui en ressuscitent les nobles harmonies de réinventer l’opéra. Or, on ignore aujourd’hui l’influence d’un autre étranger dans l’inspiration du grand Hector: Gaspare Spontini (1774-1851), rival à Paris de Paër qui l’appelait non sans malice et dans un esprit de dénégation: le « Spontin ». C’est tout l’intérêt du présent programme, bâti autour des antiques et du premier romantisme néoclassique: révéler la manière terrible et saisissante de Spontini. Le compositeur fait sa carrière à Paris, comme protégé de Napoléon et de Joséphine, livrant La Vestale (l’un des plus grands succès à l’opéra), puis à Berlin, où il est compositeur officiel du Roi de Prusse…

Le Palazzetto Bru Zane avant même l’inauguration véritable du festival « Antiquité, mythologie et romantisme » (le 22 septembre prochain à Venise), a bel et bien commencé son cycle de redécouvertes fécondes autour du thème de l’Antiquité acclimatée par les Romantiques français.
A Namur (concert repris à Liège ce 13 juillet puis le 22 septembre à Venise), il s’agit surtout des premiers romantiques, ceux dont l’oeuvre parfois solennelle et grandiose sait articuler le français en une déclamation noble, naturelle et frénétique, haletante même, osant égaler les vertiges déclamatoires des plus grands tragiques, Corneille et Racine. Au XVIIè, Quinault et Lully rivalisent avec les théâtreux. Au XIXè, Gluckiste dans l’âme, Spontini avant Berlioz, offre un nouvel âge d’or du vers tragique français à l’opéra.
La prosodie s’associe ici au muscle orchestral le plus fulgurant: Spontini éblouit par son colorisme symphonique, une audace des coupes harmoniques, un vrai génie des situations: l’air de Statira extrait d’Olympie (1819, d’après le texte de Voltaire: « Ô déplorable mère, ô dieux quel est mon sort!…) dévoile le stature d’un artisan magicien, habile par ses climats étranges et imprévisibles dont la gradation et les inflexions, jamais gratuites, traduisent au plus juste les passions qui font palpiter le coeur de l’héroïne. D’une architecture racinienne, l’air de Statire souligne d’abord la souffrance funèbre d’une mère endeuillée, puis sa fureur et sa rage impuissante face à l’injustice divine, c’est enfin une atténuation en forme de déploration finale, comme un retour à l’effroyable réalité après un temps d’égarement et de délirante exaspération. Ce morceau vaut à lui seul tous les hommages, et l’on comprend d’autant mieux Berlioz qui s’attarde dans ses Soirées de l’orchestre sur le « cas « Spontini, au point de lui consacrer un long chapitre en forme de biographie: incompris (comme lui), génie dramatique (comme lui), surtout fidèle continuateur de… Gluck que l’Italien sait comprendre et prolonger (comme lui).

Cherubini, Spontini, précurseurs de Berlioz

Si le français reste perfectible (et pourtant d’une autorité méritante de la part d’une chanteuse italo-américaine), d’autant plus dilué à Namur, dans une acoustique diffuse, la ligne et le souci de la couleur (à défaut ce soir d’aigus réellement assumés) distinguent aujourd’hui la mezzo-soprano Jennifer Borghi. Tempérament ardent et engagement passionné, son style s’impose de lui-même dans les rôles de grandes tragédiennes, imprécatrices tumultueuses ou implorantes défaites et sombres. C’est justement le cas de son premier air, précédent l’admirable égarement de Statire (que Berlioz avait écouté médusé dans l’interprétation de la cantatrice vedette Melle Branchu) : l’air des Abencérages de Cherubini (créé en 1812: premier opéra romantique français): « Epaissis tes ombres funèbres, Nuit favorable à mes succès!… », touche par sa tendresse articulée en un récitatif somptueux où la voix soliste bénéficie du chant double des deux violoncelles accordés au diapason de sa peine. Que de dignité blessée pourtant humble et recueillie dans cet air où l’artiste doit privilégier la simplicité de l’intonation.
Cherubini, Spontini: voilà restitués, deux immenses génies de l’opéra tragique au passage du XVIIIè au XIXème siècles.


Spontini ressuscité

Mais notre découverte reste cet art fulgurant et « monstrueux », véritable modèle de Berlioz. Spontini est plus tendu, aux intervalles vertigineux, exigeant de la soliste, intelligibilité et puissance: soit ce chant de force, pourtant coloré et flexible qui au XIXè fut incarné par les divas parisiennes: entre autres, Melle Maillard, Cornélie Falcon (dans les années 1830), puis Pauline Viardot (dans les années 1860)… toute une généalogie de chanteuses, mezzos à fort tempérament dont les possibilités ont évidemment inspiré les compositeurs. Le Spontini d’Olympie profite de ses précédentes réalisations fameuses: La Vestale ou Cortez dont Berlioz loue aussi l’inégalable beauté.

Le programme rétablit Spontini dans sa manière incantatoire et hallucinée. A la mezzo choisie pour en défendre la subtilité, revient le mérite de l’audace et de l’intégrité musicale: la couleur et l’intonation sont d’une grande sincérité, qui gagnera encore dans les concerts à venir (le 13 juillet à Liège, le 22 septembre à Venise) un aplomb assuré, une clarté dans les aigus, à la fois tranchants, tendres et glaçants… Le Palazzetto Bru Zane annonce l’enregistrement du programme; et bientôt, en janvier 2013, devrait sortir un très prometteur livre disque dédié au jeune Max d’Ollone, lauréat du Prix de Rome (1897) que le Centre de musique romantique française a également accompagné au concert comme au studio: Jennifer Borghi y incarne entre autres, les héroïnes des cantates, Clarisse Harlowe d’une tendresse manipulée, surtout Frédégonde (qui obtient le Premier Prix), amoureuse irrésistible et barbare à laquelle la mezzo apporte une sincérité et un feu remarquables (Visionner notre reportage vidéo Max d’Ollone et le Prix de Rome).

A la fois précis, détaillé et nerveux, le chef Guy Van Waas défend le dramatisme moiré du Cherubini; (tendresse des alliages des bois entre autres), l’élégance de Salieri (ouverture des Danaïdes… que Spontini adapte sous l’oeil confiant de l’auteur, lors de la reprise de l’opéra à Vienne), l’hallucinante terreur et cet effroi déclamé qui couvent chez Spontini, déployant à l’orchestre des audaces et des syncopes dont Berlioz fera bon usage. L’agilité toute en complicité, cultivée par un chef fédérateur et communicatif, assure la réussite de l’orchestre sur instrument anciens, Les Agrémens. Même dans le symphonisme plus frénétique de l’air de furie d’Orphée et Eurydice de Gluck, puis les climats exacerbés d’Olympie, où se répand l’esprit de la terreur et du paroxysme tragique, cette tension singulière aux harmonies si surprenantes mais dramatiquement et émotionnellement si justes, le geste du chef fait souffler le vent tragique tout en préservant l’équilibre si délicat entre la voix et les instruments. Saluons l’agilité aérienne des cordes dans l’air de Statira où l’orchestre, entre virtuosité et expressivité, fait jeu égal avec la chanteuse. Superbe programme qui réussit pleinement sa mission car l’auditeur mis en appétit souhaite en entendre davantage…

Namur. Eglise Saint-Loup, le 7 juillet 2012. Récital de Jennifer Borghi, mezzo soprano. Cherubini (Les Abencérages), Spontini (Olimpie). Les Agrémens. Guy van Waas, direction. Programme repris à Liège le 13 juillet puis le 22 septembre 2012 (inauguration du festival « Antiquité,mythologie et romantisme », du 22 septembre au 4 novembre 2012).

vidéo
Antiquité, mythologie et romantisme
Palazzetto Bru Zane

Avant le lancement de son festival d’automne (le 22 septembre à Venise),
le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française aborde
dès l’été 2012 la question du néoclassicisme à l’heure romantique. Dans
le sillon tracé par Gluck, Cherubini, Grétry, Spontini font évoluer aux
côtés de Rossini, le modèle de l’opéra tragique au XIXè. Ils préparent
l’avènement de Berlioz… Clip vidéo (Namur, le 7 juillet 2012)

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