John Bull mort en 1628, bien que musicien (organiste renommé) de la chapelle royale anglaise, professeur pour le virginal d’Elizabeth, fille du Roi Jacques Ier, doit fuir la perfide Albion en raison de son tempérament passablement colérique et instable dès 1613. Il est pourtant au sommet de sa carrière et son oeuvre qu’aborde l’excellent claveciniste Bertrand Cuiller, par ailleurs quand il n’est pas soliste comme ici, assure le continuo auprès du non moins méritant violiste de premier plan Bruno Cocset (dans l’Ensemble de ce dernier, Les Basses Réunies). La ciselure des enchaînements chromatiques dès la Pavane en mémoire de la Reine Elizabeth (1603) montre à quel point le style de Bull se ditingue des autres auteurs du programme Tallis ou Tomkins; d’ailleurs celui ci reconnaît avec un juste discernement la valeur de Bull, digne créateur, évident candidat mentionné dans son livre de valeurs (his lessons of worthe, le titre du présent récital). Le raffinement de l’écriture du versatile Bull n’est jamais égalé par Tomkins qui dans son Offertory suivant, reste séduisant certes mais si prévisible voire démonstratif. A 33 ans, Bertrand Cuiller a le nez creux et le toucher savamment naturel pour oser défricher de si érudites rives, où le jeu des réponses entre partitions et perspectives entre écriture compose comme une mosaïque d’une activité permanente.
Le Ground MB 40 de Tomkins explore cette amabilité déjà remarquée mais joué ici comme toutes les pièces en ré (finales) sur un superbe claviorganum, combinaison gagnante du clavecin et de l’orgue: d’une articulation parfaite, souple et ductile, l’interprète comme s’en défendant ne peut cependant que souligner la profondeur étrange souvent énigmatique de la pièce de Bull qui précède: In Nomine… Même recueillement serti, mesuré, à l’écoute de l’ineffable et du secret pour la pièce finale de cette section des oeuvres en ré: Bull ne laisse pas de séduire par ce génie particulier de la surprise et de l’exploration.
On l’a compris, tout en souhaitant rendre hommage à l’écriture de Thomas Tomkins (1572-1656), Bertrand Cuiller retrouve ce caractère d’admiration pour les maîtres Bull ou Tallis, lequel est présent ici en une seule pièce: l’interrogatif « Felix Namque » qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler cette gestion des silences et le questionnement secret que convoque la musique de Bull, d’autant plus sur ce clavecin non moins captivant, copie d’un original conservé au British Museum et daté vers 1579… Organiste à la cathédrale de Worcester de 1596 à 1646, Tomkins admire et compile. En connaisseur de la meilleure musique à son époque, il s’intéresse aux styles de ses « maîtres » désignés. Scrupuleusement organisé en trois sections à la dramaturgie progessive, la, sol puis ré… le récital suit les recomandations quant aux « valeurs » ou tonalités dont parle Tomkins dans son recueil.
Fervent ambassadeur d’une sonorité restituée, à l’articulation vive, défendant un programme audacieux et totalement inédit dans ses rapprochements musicalement avérés, Bertrand Cuiller convainc absolument. Superbe récital.
Mr Tomkins: his Lessons of Worthe. PIèces en la, sol et ré de John Bull, Thomas Tonkins, William Byrd, Thomas Tallis. Bertrand Cuiller, clavecins, claviorganum. 58 mn. 2010. 1 cd Mirare. 3 760127 221371. La prise de son restitue au plus près le toucher très fin et si riche en nuances de Bertrand Cuiller: regrettons cependant le montage son qui entre diverses pièces, a laissé bruits et notes parasites. Cet enregistrement aurait-il été négligé par l’ingénieur son? (plage 7 à 10’20)