Mozart Berlinois
Ferenc Fricsay prend son temps, inscrit sa lecture de la comédie mozartienne avec une retenue à l’impact contagieux: noblesse et aussi tendresse, sa direction éclaire d’un bout à l’autre, l’expressivité de l’action lyrique avec une tension remarquable qui sait colorer et construire l’enchaînement des tableaux en ciselant les transitions. L’orchestre ainsi canalisé rugit comme il murmure, dévoilant un raffinement de nuances souvent magnifique.
Le tempérament des solistes fait toute la valeur de cette production berlinoise très solide sur le plan musical et vocal: au sommet de la distribution, Dietrich Fischer-Dieskau (voix claire et naturellement chantante) redouble d’élégance viennoise; d’arrogance supérieure, de finesse comique, de raffinement moliéresque. Tout passe par le chant: un art vocal sublimé par un instinct et une culture superlatifs. Elisabeth Grümmer éblouit par son incandescence tragique et amoureuse: une actrice autant qu’une chanteuse; Pilar Lorengar fait une Elvire, façonnée telle une touchante torche humaine; Erika Köth, une Zerlina piquante et astucieuse, d’une fragilité palpitante face au félin séducteur qu’est Dieskau/Giovanni (duo Lasci darem la mano)…; les hommes ne sont pas dans l’ombre: on reste très convaincus par le Leporello mâle, carré, mais pétillant de Walter Berry (un autre modèle avec Fischer-Dieskau). Même l’Ottavio de Donald Grobe (stylé, fin sans affèterie) nous séduit dans cette galerie étonnante de formidables natures scéniques et chantantes.
Voici des chanteurs qui jouent; n’hésitant pas à chanter mezzavoce, développer un chant rayonnant non par les décibels forcés mais chacun grâce à ses nuances propres. Un régal de finesse et d’intelligence, permis aussi (surtout) par une direction à l’écoute très attentive et permanente des chanteurs (jamais l’orchestre ne couvre les solistes). La mise en scène et les décors, constante de l’époque, n’apporte pas grand chose à la lisibilité de l’action (ce qui n’est pas si mal, au regard des mises en scène actuelle souvent trop décalée…). Réédition majeure.
Mozart: Don Giovanni. Berlin 1961. Dietrich Fischer-Dieskau, Elisabeth Grümmer, Pilar Lorengar, Walter Berry, Erika Köth… Choeur et orchestre du Deutsch Oper Berlin? Ferenc Fricsay, direction. Carl Ebert, mise en scène. 2 dvd Arthaus Musik 07208 15749.