Composé en 1813 par un Rossini de 21 ans seulement, ce bijou est considéré comme la première œuvre lyrique véritablement développée de son auteur – et déjà un coup de maître –. Plein d’esprit, toujours pétillant, mélangeant tourbillons et courbes musicales voluptueuses, cet ouvrage reste, à notre sens, l’un des plus réussis du cygne de Pesaro.
Nous sommes donc heureux de le retrouver à Metz dans une mise en scène originale et décalée de David Hermann. Plus d’Algérie, plus de harem, plus d’orient de fantaisie, mais une forêt tropicale dans laquelle un avion s’est écrasé.
Les passagers ont appris à vivre dans la carcasse de l’engin, et le commandant de bord, qui n’est autre que Mustafà, s’est proclamé roi, réduisant en esclavage le pauvre Lindoro qui vit désormais dans l’un des réacteurs. Isabella, armée d’un coupe-coupe, suivie par son fidèle amant Taddeo, brave la nature hostile pour sauver tout ce petit monde.
Passée la surprise de ce parti-pris étonnant mais audacieux, force est de constater que l’ensemble fonctionne remarquablement, sans vulgarité mais toujours avec humour, grâce à une direction d’acteurs précise et virevoltante.
L’Italienne dans la jungle
Le metteur en scène peut compter sur une équipe de solistes visiblement unie et soudée, semblant prendre un plaisir fou à jouer et chanter ensemble.
Pour sa première Isabella, Isabelle Druet fait valoir autant ses talents de comédienne que de chanteuse. Ses mimiques et autres œillades hilarantes font mouche, et on tombe vite sous le charme de sa voix longue, riche, toujours claire, au texte parfaitement dit et aux graves jamais forcés. Seules les vocalises, plus aspirées que véritablement sur le souffle, laissent supposer que son chemin est ailleurs que dans les terres rossiniennes. Cependant, son « Per lui che adoro » lui permet de dérouler un legato de grande école, ainsi que dans sa Carmen nancéenne, et de faire admirer sa délicate musicalité.
Elle forme un couple explosif avec le Mustafà despotique et finalement attendrissant de Carlo Lepore. La basse italienne se montre à son meilleur dans les récitatifs et les passages comiques en sillabato, où non seulement la finesse de son jeu scénique devient sensible, mais également sa voix retrouve un naturel qu’il perd dès qu’il doit chanter forte et tenir une note. En effet, dès son air d’entrée, l’engorgement et la surcouverture de son émission inquiètent, frôlant la caricature, ainsi qu’une agilité poussive et saccadée. Pourtant, dès que l’écriture se rapproche de la voix parlée, les voyelles s’éclaircissent et la place de la voix remonte, permettant une parfaite compréhension du texte. Sa longue fréquentation du rôle est évidente, et l’on s’attache vite à ce tyran amoureux.
En Lindoro frêle et néanmoins courageux, Yijie Shi impressionne par la facilité avec laquelle il semble se jouer des pièges de la partition. La voix sonne parfois quelque peu serrée dans l’extrême aigu et manque encore de variations dans les couleurs, mais quelle santé ! Les vocalises se déroulent avec aisance, l’instrument sonne haut et clair, bien timbré, sans nasalité parasite, traversant l’orchestre sans effort. Un nom à suivre.
Le Taddeo de Nigel Smith, débonnaire et sympathique, suscite tous les rires, victime bien malgré lui des honneurs du bey. Son beau baryton complète à merveille le quatuor principal, en particulier dans des « Papatacci » aux sols conquérants et assourdissants.
Les seconds rôles ont été également soignés, du Haly vengeur, cannibale et très bien chantant d’Igor Gnidii à l’Elvira remarquablement cristalline et charnue à la fois de Yuree Jang. Mention spéciale à la Zulma de Cornelia Oncioiu, à la belle voix de mezzo corsée et puissante, venue au dernier moment intégrer la reprise messine de cette production.
Saluons également les chœurs d’hommes des deux villes, superbement engagés. On retiendra tout particulièrement le moment où, tous costumés en indigènes, ils retirent leurs masques pour se préparer à partir, semblant redécouvrir le parfum de la liberté. Un instant d’émotion inattendu.
Dans la fosse, Paolo Olmi tire le meilleur de son orchestre, malgré une acoustique un peu sèche et un effectif instrumental qui aurait pu être plus fourni.
Beau succès au rideau final pour cette Italienne joyeusement dépaysante, qu’on oubliera pas de sitôt.
Metz. Opéra-Théâtre, 7 mars 2012. Gioacchino Rossini : L’Italiana in Algeri. Livret d’Angelo Anelli. Avec Isabella : Isabelle Druet ; Lindoro : Yijie Shi ; Mustafà : Carlo Lepore ; Taddeo : Nigel Smith ; Haly : Igor Gnidii ; Elvira : Yuree Jang ; Zulma : Cornelia Oncioiu. Chœur des hommes de l’Opéra National de Lorraine, Chœur des hommes de l’Opéra-Théâtre de Metz. Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy. Paolo Olmi, direction musicale ; Mise en scène : David Hermann. Décors : Rifail Ajdarpasic ; Costumes : Bettina Walker ; Lumières : Fabrice Kebour