Don Quichotte
(Gergiev, 2011)
Fièvre dramatique, ivresse sensuelle, direction très contrastée mais jamais sèche ou râpeuse, d’une fluidité admirablement équilibrée entre flexibilité et muscle, la lecture est en cette année Massenet, une grande surprise discographique; d’autant que la distribution vocale non francophone et plutôt majoritairement russe, relève le défi de la langue avec un panache et une finesse souvent délectable. Enregistrée en mai 2011 au Mariinsky de Saint-Petersbourg, l’approche séduit par son dramatisme et sa justesse expressive. Valery Gergiev et sa brillante troupe regorgent de saine vitalité, soulignant la flamboyance instrumentale de la partition, ses hispanismes chaloupés aussi, comme le Capriccio Espagnol de Rimsky, et ce dès la première scène chorale (Alza! Alza!); la tendresse des inflexions citent aussi une certaine Carmen de Bizet, c’est dire combien le chef russe semble admirablement maîtriser l’éclectisme dramatique et sensuel d’un Massenet, grand génie du théâtre. Gergiev fait de la comédie, un opéra humain, dont la vérité et la sincérité éclairent cette production plus que recommandable.
L’auteur de Manon et de Thaïs, compose avec Don Quichotte (composé en 1909, créé à Monte Carlo en 1910), aux côtés de Panurge (1911), une pièce maîtresse dans le genre comique. Dès la création, l’ouvrage bénéficie de l’excellente basse Chaliapine, alors vedette de l’Opéra de Monte Carlo dirigé par le dynamique Raoul Gunsbourg: c’est lui qui souffle à Massenet l’idée d’aborder au théâtre, la figure de Quichotte. Le compositeur écrira l’ensemble de la partition alité chez lui, souffrant de rhumatisme.
La truculence très inventive de l’opéra sélectionne certains épisodes des aventures du chevalier de La Mancha: son désir de rejoindre l’ordre des Chevaliers errants, sa défense de la belle Dulcinée (incarnée pour la création par l’excellente mezzo Lucy Arbell), véritable sirène et non plus figure fantasmatique: le héros n’aura de cesse de trousser les brigands qui ont dérober le beau collier de la jeune femme… Même la scène des moulins à vent est conservée au II, comme la tirade croustillante et satirique de Sancho Pancha (autre rôle de basse) contre les femmes au II également.
Face à l’inconséquente et trop légère Dulcinée, le Chevalier perd tout espoir amoureux: il est même consumé et rongé par un désir inavoué et irréalisable: sa mort au IV dans les bois, est l’un des épisodes les plus touchants et les plus tendres pour basse de tout le répertoire;
Ferrucio Furlanetto fait un Chevalier ardent, rêveur, toujours prêt à s’alanguir. Basse caressante et profonde, le chanteur italien apporte un vrai éclairage humain sans excès de pathos à la figure du Chevalier. La Dulcinée d’Anna Kiknadze capive elle aussi par le miel enfiévré de son timbre de grand mezzo dramatique: beau tempérament résistant toujours aux assauts d’affection du Chevalier jamais pris au sérieux… les confrontations entre les deux sont toujours remarquables de justesse et de style. Andrei Serov en Sancha se distingue lui aussi par son engagement: il donne cet essor poétique qui contrepointe la gravité tendre de Quichotte: la vraie basse bouffe, truculente et picaresque, c’est lui: l’invention de Massenet sous la direction de Gergiev, se dévoile avec subtilité; le compositeur a réussi là encore le portrait appareillé de ses deux rôles masculins: Quichotte/Pancha. Superbe réalisation.
Massenet: Don Quichotte (1910). Ferrucio Furlanetto (Don Quichotte); Anna Kiknadze (Dulcinée); Andrei Serov (Sancho Pancha)… Mariinsky orchestra, Académie des jeunes chanteurs du Mariinsky. Valery Gergiev, direction. Enregistrement réalisé au Mariinsky Concert Hall, St Petersbourg, les 27-29 mai 2011. 2 cd Mariinsky réf.:MAR0523. Acheter le cd Don Quichotte de Massenet par Valery Gergiev (2 cd Mariinsky).
