Mezzo di bravura e coloratura: « La Horne » reste un modèle de beau chant, souple, acrobatique, stylé. Ses Rossini sont ouvragés avec un instinct sûr, ses Mozart à l’avenant, et apport non moins bénéfique, son français ne souffre d’aucune irrégularité d’émission comme d’articulation: la diseuse soutient le texte sur le souffle d’une voix somptueuse et ciselée. Même dans l’affliction blessée des Kindertotenlieder, le timbre conserve au fond du désespoir, cette distinction qui indique l’interprète racée (cd 8), d’une élégance royale. Pas l’ombre d’une sensualité déplacée, plutôt l’intensité infiniment mesurée, contrôlée, projetée. Le coffret se révèle de première valeur: en plus d’embrasser un large répertoire, admirablement servi, l’édition ajoute le luxe de reproduire pour chaque cd, la pochette originelle, parue à son époque au vinyle, accompagnées par un livret complet retraçant la carrière et les choix de répertoire de la diva, aujourd’hui septuagénaire.
Le corpus montre la constance d’un totale complémentarité/complicité, celle de la chanteuse avec le chef Henry Lewis (7 cd sur les 11), mais aussi le duo chambriste, parfaitement articulé et suggestif (du moins du côté de la cantatrice) que Marilyn Horne a formé dans les récitals de mélodies françaises et espagnoles, dans les lieder de Richard Strauss, Wolf et Schumann, avec le pianiste Martin Katz (2 cd, 9 et 10). Enfin totale réussite, le programme Mahler (cd7), enregistré avec Zubin Mehta (Rückert lieder et Lieder eines fahrenden Gesellen).
Née à Bradford (Pennsylvanie) le 16 janvier 1934, Marilyn Horne, est une légende du chant américain (à dire vrai du chant tout court). Après avoir suivi quelques master-classes avec la soprano Lotte Lehamnn, la jeune Horne de 20 ans, débute sa carrière dans le rôle de Hatta, de la Fiancée vendue de Smetana, à l’opéra de Los Angeles. En 1956, elle participe à la création vénitienne du Canticum Sacrum de Stravinsky qui devait par la suite lui dédier ses propres arrangements de deux « Spanisches Liederbuch » d’après Hugo Wolf. Comme le fera plus tard, une autre fiva étatsunienne, Jessye Norman, Marilyn Horne prend conscience que pour élargir ses horizons, et susciter des engagements profitables, elle doit quitter le pays natal et suivre une troupe sur une scène européenne: chose faite à l’opéra de Gelsenkirchen, où la jeune mezzo restera trois années… trois années formatrices où l’amplitude de la tessiture, mezzo et aussi soprano, l’impose peu à peu. Son timbre dramatique et clair, dramatique et colorature, la distingue nettement de ses consoeurs. Un rôle lui permet de gravir le niveau d’une reconnaissance internationale: Maria dans Wozzek de Berg. Gelsenkirchen en 1960, puis San Francisco et surtout Covent Garden en 1964. Sa carrière va croissante.
En plus de l’agilité technique, d’une articulation lumineuse, Horne possède le dramatisme sombre, profond, intense. C’est ce qui jaillit immédiatement de ses rôles belcantistes, quand au début des années 1960 aussi, elle devient la partenaire de Joan Suthermand, la « Stupenda », dans les opéras de Bellini, Beatrice di Tenda, et ensuite, Norma dont elle chante Adalgisa.
Le coffret Decca regroupe plusieurs bandes entre 1964 et 1986. Autant dire que les enregistrements fixent les qualités d’une voix dans sa meilleure période. Agilité dramatique des grands airs rossiniens héroïques ou comiques, souplesse claire et naturelle dans les opéras et les mélodies françaises, la précision et l’intensité de la voix captive, même dans un allemand non moins tendu et expressif chez Wagner, Mahler, dans les lieder de Wolf, Schumann, Strauss.
Dans cet ensemble incontournable, on retiendra surtout, l’excellent programme de lieder orchestraux Mahler/Wagner (avec Henry Lewis, Royal Philharmonic Orchestra, de juillet 1969: Kindertotenlieder, Wesendonck lieder, cd 8), auquel on fera correspondre le récital Mahler de 9 ans plus tardif (1978, avec Zubin Mehta, Lieder eines Fahrenden Gesellen, Rückert lieder, Los Angeles Philharmonic Orchestra) parce que l’on sent que les deux chefs désirent fusionner, et chacun avec des arguments respectifs, avec cette voix habitée, hallucinée qui projette l’espérance mahlérienne entre noblesse et blessure…
Dans le répertoire italien, gardons en mémoire, le cd 4 qui comprend les grands airs centraux de la carrière théâtrale de la diva (Rossini, Mozart, Donizetti… de juillet 1964), auquel on associera aussi le cd 6, « airs d’opéra français » (tendresse de « Mon coeur s’ouvre à ta voix », ou gravité tragique et franche de l’air de lettres de Charlotte de Werther de Massenet (octobre 1967). Enfin, sachons reconnaître en ouverture du coffret, ce double hommage à deux immenses mezzo qui l’ont devancée, les soeurs Garcia (Maria Maliban et Pauline Viardot, « Souvenir d’un âge d’or« ) (2 cd de 1965): tout le répertoire qui fait les légendes se trouve comme concentré dans ce dyptique, qu’une Bartoli n’aurait pas renié: de Rossini, « Di Tanti Palpiti », la chanson du saule (Desdemona d’Otello), une voce poco fa (Il Barbiere di Siviglia), et aussi, en français, « où-suis-je?… O ma lyre immortelle (Sapho de Gounod). Enfin, la conteuse et la diseuse, experte des couleurs les plus intimes portant et ciselant le verbe comme aucune autre, surgit de deux cd de lieder et de mélodies françaises et espagnoles (cd9 et cd10). Tout l’art fait d’élégance, de lumière, portée par un souffle souverain, s’écoute préservée, diamantin. Seule réserve: dommage que l’accompagnement du pianiste Martin Katz n’ai pas la même délicatesse d’énonciation que la prodigieuse poétesse. Coffret événement.
Coffret 11 cd « The complete Decca recitals ». Marylin Horne, mezzo-soprano. Martin Katz, piano. Orchestre de la Suisse Romande, Royal Opera Orchestra Covent Garden, Royal Philharmonic Orchestra, Los Angeles Orchestra… Henry Lewis, Zubin Mehta, Carl Davis.
