mardi 6 mai 2025

Marc-Antoine Charpentier: Musiques pour les comédies de Molière (Reyne, 2011) 1 cd Musiques à la Chabotterie

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Les festivaliers de l’été dernier en Vendée connaissent ce programme baroque, entre théâtre et musique, opéra et intermèdes, Italie et France. Hugo Reyne réunit un collectif engagé pour défendre les fruits d’un mariage délirant, riche en verve, d’une subtilité dramatique encore méconnue: quand Molière rencontre Charpentier, le dramaturge peut poursuivre son activité visionnaire dans le genre de la comédie ballet. Pour preuve, cet enregistrement qui suit les représentations vendéennes: dans l’orchestre, comme flûtiste et oboïste, le chef de La Simphonie du Marais trouve dans les trois solistes masculins, des interprètes fins et facétieux, le temps de ce programme des plus captivants.

Charpentier+Molière=l’équation magique?


D’emblée, point d’orgue de l’album, saluons la superbe révélation que ce premier intermède du Malade imaginaire qui pourrait illustrer de la meilleure façon la complicité de Molière et de Charpentier, et aussi les convictions profondes du dramaturge, alors en délicatesse avec Lully, tout puissant et bientôt grand vainqueur sur la scène lyrique: la version proposée respecte au mieux les volontés de l’homme de théâtre, telles que conçues pour le carnaval de 1673: joué, parlé, chanté, dansé… tous les modes de la communication expressives oeuvrant pour l’essor du spectacle français s’y agrègent en une totalité fascinante dont Hugo Reyne déroule dans un ordre recomposé (respectueux du manuscrit de Charpentier) la cohérence première: sérénade de Polichinelle, puis piège tendu par Spacamond et les archers… enfin, air de la vieille Zerbinette à sa fenêtre… ici, se profile une relecture experte des comédies italiennes que Charpentier a pu voir à Rome; le texte comme la musique ne sont pas sans esprit satirique et Polichinelle pourrait être Molière lui-même, critique vis à vis de ce nouveau genre du parlé en musique; comme Spacamond serait Lully (ses violons vengeurs accompagnent les archers venus rosser Polichinelle)… La pièce ainsi restituée prend valeur prophétique: dans la réalité, alors que Molière usé, vieilli, expire, Lully se révèle un maître incontesté dans cette arène nouvelle où la hiérarchie des arts de la scène est bousculée afin qu’émerge et se fixe, l’opéra français. Très pertinent également de couronner le premier intermède de ce Malade Imaginaire par la chaconne (précisément l’entrée des Polichinelles chassés par les archers) dont la mélodie, véritable tube de l’époque, sera encore utilisée pour un ballet sur Arlequin à Londres dans les années 1720…

Le désaccord entre les deux Baptistes remonte en fait à l’année 1672 quand Charpentier écrit pour Molière la musique de scène du Mariage forcé (créé le 8 juillet 1672); après avoir travaillé pendant 7 ans avec Molière (du Mariage forcé à Psyché, de 1664 à 1671), Lully lâche Molière, prend son propre envol en obtenant le privilège de la musique à l’opéra: il empêche dès lors Molière de faire jouer tout intermède (dansé, chanté, mis en musique…) dans ses pièces; pour Lully c’est le début d’une aventure exceptionnelle qui le mène à la tragédie lyrique de 1673 (Cadmus et Hermione); pour Molière, c’est une fin annoncée à l’issue fatale. Alors que Lully travaille dès lors avec Quinault; Molière choisit Charpentier afin de poursuivre son oeuvre dans le genre de la comédie-ballet (fixé auparavant avec Lully): le vieux Molière et le jeune Charpentier pas encore trentenaire (29 ans) se rencontrent et réussissent dans l’écriture du Mariage forcé: tout le délire de Molière s’y concentre; avant Don Pasquale, le quinqua Sganarelle a décidé de se marier, tout en craignant d’être cocufié par sa jeune épouse; il tente de recueillir conseils auprès de ses proches: Geronimo et Marphurius, très fine et mordante caricature de médecin dont Molière a toujours eu le génie. Le trio final à 3 voix d’hommes fait la satire des opéras nouveaux, où tout est bon pour faire chanter la mélodie (« Tout est bon, Quoi qu’on die; Tour bruit forme mélodie »)…

Agrémentées de quelques autres perles dramatiques du même duo décidément très inspiré (ouvertures du Dépit amoureux, de la Comtesse d’Escarbagnas; extraits du Sicilien de 1679; avec en bonus, le trio des rieurs des Fous divertissants de 1680 sur un livret de Raymond Poisson), les deux scènes majeures formaient un spectacle présenté au festival Musiques à la Chabotterie à l’été 2011, et intitulé  » la dernière sérénade de Molière »: s’agissant de sa dernière collaboration avec un compositeur avisé, toutes les musiques et scènes choisies témoignent du dernier Molière, un génie intact qui semble ressuscité au contact d’un musicien plus que talentueux. Hugo Reyne connaît les formes entre musique, chant et théâtre qui préfigure l’opéra français: en artisan avisé, il sait conduire sa brillante troupe d’une main experte: aucun doute, les créateurs français, au début des années 1670 sont prêts pour que naisse un art spectaculaire spécifiquement français.

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704): Musiques pour les comédies de Molière. Romain Champion, haute-contre. Vincent Bouchot, taille. Florian Westphal, basse. La Simphonie du Marais. Hugo Reyne, direction. Enregistrement réalisé à l’hiver 2011, Les Sables d’Olonne, Vendée).

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